Médicaments chers, fiscalité, restructurations : éclairage d’expert sur trois enjeux économiques majeurs pour les pharmaciens
Dans ce numéro spécial consacré à la pharmacie, OnLib’Infos a sollicité Mathéa Quercy, expert-comptable et spécialiste du secteur de la pharmacie, pour nous livrer son regard éclairé sur trois sujets sensibles qui ont marqué l’actualité de 2024 et ce premier trimestre 2025 : les médicaments chers et leurs impacts, les évolutions fiscales et leurs effets sur la rémunération des titulaires et le nouvel élan des restructurations bancaires.
Oui aux médicaments chers, en faisant preuve de vigilance
Quel est la problématique de départ ? En capant la marge au-delà d’un certain montant, le mécanisme de Marge Dégressive Lissée (MDL) limite fortement la rentabilité sur les produits chers. Au-delà de 1 930 €, la marge est nulle et elle décroit progressivement sur les seuils précédents.... Que le produit coûte 2 000 € ou 10 000 €, la marge du pharmacien reste limitée à une centaine d’euros, ce qui peut sembler insignifiant, surtout en valeur relative.
Trois points méritent d’être rappelés afin de réfléchir à cette problématique de façon globale : d’une part, si certaines sorties de réserve hospitalière peuvent être perçues comme un transfert de responsabilité vers la pharmacie de ville, il ne faut pas oublier que le pharmacien a un rôle crucial de santé publique à jouer dans la délivrance de ces traitements lourds. Ensuite, certes, en pourcentage, la marge est faible, mais en valeur absolue, elle est souvent supérieure à de nombreux produits de comptoir. Il faut vendre beaucoup de Doliprane ou d’huiles de douche pour générer une marge équivalente à celle d’un seul médicament cher délivré. Enfin, le médicament est remboursé par la CPAM en quelques jours, alors que le répartiteur n’est payé en moyenne qu’à 45 jours, ce qui crée un effet de trésorerie positif.
Toutefois, la vigilance est de mise avec des préconisations qui nous semblent importantes:
- Ne pas stocker et sensibiliser les patients... Le risque financier est trop important et repose uniquement sur le pharmacien. Si le produit n’est pas délivré (patient décédé, pris en charge ailleurs, changement de traitement…), la pharmacie subit une perte sèche de 2 000 € ou plus. Il est donc essentiel de sécuriser la réalisation de la délivrance en sensibilisant notamment les patients à la valeur de ces traitements.
- La lecture des indicateurs doit changer : la lecture classique des chiffres d’affaires et des marges ne fonctionne plus. Il nous semble nettement plus pertinent d’analyser la performance de l’officine hors produits onéreux, ou au minimum, de raisonner en valeur absolue.
- Dans cette optique, depuis 2023, l’étude des prix de cession des pharmacies d’Interfimo propose, comme nouvelle référence, le coefficient sur la marge brute, qui neutralise l’impact des médicaments chers (voir notre article).
- En bref, malgré les contraintes, il nous semble que les médicaments chers ne doivent pas être diabolisés, à condition de recréer une grille de lecture complète et de sécuriser chaque délivrance.
Changements de fiscalité et impact sur la rémunération des titulaires
Deux réformes fiscales ont récemment bousculé la rémunération des pharmaciens titulaires : la requalification en BNC, désormais confirmée et la création d’une taxe exceptionnelle, la CDHR, dont les effets pour les pharmaciens peuvent être nuancés.
Rémunération du titulaire de SEL : passage en BNC
À compter des revenus perçus en 2024, la rémunération des titulaires de SEL sera désormais imposée dans la catégorie des Bénéfices non commerciaux (BNC). Avec, comme conséquences, la suppression de l’abattement forfaitaire de 10 % pour frais professionnels et une hausse de la fiscalité personnelle pour chaque titulaire de SEL.
Ce basculement avait été contesté devant le Conseil d’État. Dans une décision rendue le 8 avril 2024, la Haute juridiction rejette en grande partie le recours pour excès de pouvoir déposé par le Conseil National des Barreaux (CNB), validant ainsi l'essentiel de la position de l’administration fiscale.
Cependant, l’action du CNB (dont il faut saluer la ténacité), ouvre une brèche en obtenant deux choses :
- Le rejet de la position doctrinaire de l'Administration qui catégorisait automatiquement toutes les tâches de back office en rémunération libérale.
- Le retrait de la présomption de répartition de la rémunération. Il sera désormais possible de justifier une répartition différente, fondée sur des critères objectifs. Mais avec une charge de la preuve incombant aux titulaires à qui il reviendra de démontrer le bien-fondé de la répartition proposée. Ce qui promet des échanges en nombre !
On peut donc s’interroger : si on doit accepter la volonté de la DGFIP de refuser de reconnaître le statut de véritable chef d’entreprise aux titulaires de SEL, ne valait-il pas mieux conserver une règle certes imparfaite, mais connue et stable ?
Loi de finances 2025 et CDHR : une nouvelle taxe qui inquiète !
La Loi de finances pour 2025 (votée très tardivement en raison des turbulences politiques de 2024) instaure la CDHR, une nouvelle contribution différentielle sur les hauts revenus.
Qu’en est-il exactement et quel impact pour les pharmaciens ?
- Tous les revenus du foyer fiscal doivent être imposés à un taux minimal effectif de 20 %. Traduction : certains ménages considérés comme "riches" ne paieraient pas suffisamment d’impôt au regard de leur niveau de revenus. Il faut donc combler cet écart.
- Mais alors, quid des dividendes ou des plus-values de cession, aujourd’hui soumis à la flat tax de 12,8 % (hors prélèvements sociaux) ? Faut-il s’attendre à un complément d’imposition pour atteindre les fameux 20 % ? La réponse est… oui, potentiellement. Sauf si l’on entre dans le champ d’un mécanisme d’atténuation, heureusement prévu par le législateur et qui vise à éviter une surtaxation injustifiée en cas de « revenus exceptionnels ».
Les pharmaciens, qui se rémunèrent rarement exclusivement en dividendes de façon récurrente, sont peu exposés à cette contribution. De même, en cas de cession, le risque d’impact reste limité.
Prudence tout de même... les contours de la CDHR sont encore jeunes, et comme pour la CEHR (instaurée en 2012 pour quelques années, et toujours en vigueur), il y a fort à parier que la "temporalité" de la mesure pourrait s’installer durablement…
Consulter la décision du Conseil d’État : N° 492154
Opérations de restructuration : prêtes pour un nouveau départ
La restructuration bancaire prend un nouveau départ après des années d’attentisme dues notamment à l’évolutions des taux (qui ont parfois grimpé à 5% !) et leur manque de stabilité ainsi qu’à l’impact des PGE encore en cours de remboursement et difficiles à refinancer, le banquier étant garanti à 90 % ... Même sans projet de transmission, de nombreuses pharmacies se sont retrouvées au milieu de leur cycle d’emprunt, avec des charges toujours élevées et peu de marges de manœuvre pour investir ou évoluer.
L’oxygène est revenu ! Avec la stabilisation des taux (même si bien supérieurs à ceux d'il y a 3 ans) et la fin des PGE, on retrouve cet outil d'ingénierie financière souple et réactif, indispensable pour accompagner les projets structurants des professionnels : agrandissement, relocalisation, croissance externe, voire opérations de type OBO (Owner Buy Out). En permettant de réétaler le capital restant dû sur leurs emprunts actuels, la restructuration libère de la trésorerie et rend possible la mise en place d’un financement complémentaire.
Quant à la transmission, elle ne s’est pas arrêtée mais a subi un ralentissement fin 2024, en grande partie à cause de l’incertitude fiscale avec une loi de finances finalisée uniquement en février 2025, ce qui a mis en pause certains projets. L’attentisme est dangereux dans une profession qui doit se renouveler face à de nombreux challenges. Aujourd’hui, il est urgent de rebrancher les bons outils et redonner de l’agilité financière aux pharmacies pour qu’elles puissent continuer à se transformer.