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Libérons le temps pharmaceutique !

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Libérons le temps pharmaceutique !
Libérons le temps pharmaceutique !

Nouvelles missions, digitalisation, pénurie de médicaments, gestion des ressources humaines : les pharmaciens font face, depuis quelques années, à des défis inédits. Thomas Morgenroth, maître de conférences au département de pharmacie de Lille et vice-doyen de la Faculté des sciences de la santé et du sport, nous livre sa vision d’économiste sur un enjeu qu’il considère essentiel pour l’avenir de la pharmacie : transmettre aux futurs pharmaciens le sens critique dans leurs conditions d’installation et d’exercice professionnel.

Les jeunes pharmaciens expriment le fait qu’ils ne sentent pas aptes à s’installer tout de suite car ils ne sont pas formés aux problématiques de gestion d’officine.
Que vous inspire ce constat ?

Cette crainte face à l’installation est tout à fait compréhensible. Se retrouver titulaire d’une officine implique de nombreuses tâches telles que la gestion des stocks, la comptabilité, l’optimisation des coûts, le management des salariés, tout cela peut en effet paraitre terrifiant lorsqu’on ne dispose d’aucune connaissance en la matière. Or la formation à la gestion d’officine, bien que prévue dans les textes officiels, reste très hétérogène et clairsemée. En effet, parmi les 24 Facultés de pharmacie en France, certaines intègrent quelques modules, d’autres n’ont aucune formation spécifique prévue à leur programme. Et pour l’anecdote, après recensement par le biais du réseau ANEPF, il semble que je sois le seul enseignant universitaire en gestion d’officine ! Ceci peut paraître paradoxal car la gestion officinale est devenue indispensable à l’exercice de la profession, que ce soit dans une position de titulaire ou d’adjoint dans le cadre d’une délégation de tâches. Les enseignements doivent répondre à une nécessité révélée tant par les étudiants eux-mêmes que par les partenaires de l’officine.

Comment expliquez-vous cette carence de la formation universitaire ?

C’est avant tout, me semble-t-il, une question de ressources humaines. Chaque université étant maître de ses programmes, il faut un doyen ou un enseignant qui soit moteur et qui ait la compétence et l’appétence pour ce type de formation. Certains experts-comptables ou pharmaciens peuvent apporter un soutien ponctuel, mais rares sont les cursus qui proposent une progression pédagogique aboutie avec un programme et des étapes qui font la force de l’enseignement et permettent de transmettre un sens critique aux étudiants dans leurs conditions d’installation et d’exercice professionnel. Lille est une grande université, le département de pharmacie compte plus de 200 enseignants et nous avons cette chance d’avoir un enseignant titulaire en gestion et un maître de conférences associé et expert-comptable, François Gillot.

Le champ de compétence du pharmacien s’est élargi avec de nouvelles missions depuis 2022.
Avec quelles conséquences sur l’exercice de la profession ?

Structurellement nous sommes en pleine mutation, avec l’ajout constant de missions nouvelles qui nécessite une nouvelle approche organisationnelle et managériale et verra sans doute l’émergence de nouveaux modèles. Le pharmacien doit réinventer son rôle, tout en maintenant une qualité de service optimale. Libérons le temps pharmaceutique ! C’est à mon sens un enjeu crucial pour l’évolution de la profession. Le titulaire est le dépositaire de ce temps pharmaceutique utile mais il est noyé dans de nombreuses tâches chronophages de gestion. L’élargissement du champ de compétences du pharmacien nécessite de permettre au titulaire de déléguer davantage à ses adjoints et aux préparateurs afin de conserver le temps nécessaire à l’intégration de ces nouvelles missions. C’est une question de gestion et de management du changement : organiser l’officine avec un état de lieux des compétences, une meilleure gestion de la masse salariale, une répartition des tâches clairement identifiée, des fiches de postes, un prévisionnel, des indicateurs de patientèle, etc. Tout cela nécessite de repenser le temps officinal.

Quelles sont les types de formation proposées à la Faculté de Lille ?

Nous proposons depuis dix ans une formation obligatoire en deux temps : d’abord un premier palier en 5ème année, avec des cours en finance, gestion des ressources humaines et management des officines. Puis, en 6ème année, nous organisons une mise en pratique, avec le concours d’INTERFIMO : il s’agit d’une simulation d’installation consistant à faire travailler pendant deux semaines des groupes de trois étudiants qui doivent présenter un dossier d’installation. Le jury est composé d’un expert-comptable, d’un représentant du monde bancaire et de deux pharmaciens installés. Il y a donc une première couche de sensibilisation avec tous les éléments entreprenariats -indicateurs de gestion, bilan et comptes de résultats, outils de géomarketing et de management- et, ensuite, une mise en pratique avec l’entretien bancaire.

En parallèle, face au constat de pharmaciens diplômés désireux de s’installer après une première expérience mais se sentant démunis face aux contraintes entrepreneuriales, nous avons créé un DU gestion de l’officine, aux termes duquel ils disposent de compétences en RH, comptabilité et management. Active depuis 10 ans, cette formation accueille chaque année entre 30 et 40 pharmaciens adjoints et est ouverte aux étudiants dès la 6ème année. Désormais, ce sont même des titulaires qui viennent se former, parfois après une première expérience malheureuse…

En conclusion ?

Je constate un paradoxe un peu étonnant : alors que dans beaucoup de domaines professionnels, la tendance est à l’autonomie avec de plus en plus d’auto-entrepreneurs et de travailleurs indépendants, les professions de santé, par essence libérale vont vers plus de salariat... Cette préoccupation est commune à de nombreuses de professions de santé qui, par méconnaissance ou peur, font le choix du salariat. Les médecins sont un bon exemple de cette tendance. Je suis notamment en dialogue avec les collègues et l’association des internes de médecine générale pour créer quelques jours de formation sur les conditions d’installation en mode libéral. Dans la vie des pharmaciens, l’installation constitue un cap important et il me semble que cette dimension doive être intégrée à part entière dans les études. En se projetant dans le cadre d’une future installation on se cale avec une posture de chef d’entreprise. C’est une bonne dynamique. Par ailleurs, il me parait essentiel de former les étudiants à gérer une pharmacie avant que d’autres le fassent à leur place – et qu’on soit obligé d’ouvrir le capital à des financiers. Pour éviter cela, il est indispensable, à mon sens, de démocratiser la sensibilisation à la gestion.

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