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Bertrand Périer : « La parole n’est pas un don, mais une conquête. »

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Bertrand Périer : « La parole n’est pas un don, mais une conquête. »
Bertrand Périer : « La parole n’est pas un don, mais une conquête. »

Avocat, écrivain, enseignant… Bertrand Périer est avant tout le spécialiste incontournable de l’art oratoire. Invité d'OnLib’Infos, il nous donne aujourd’hui son analyse sur la place de la parole dans nos sociétés transformées par l’écriture digitale, et sur son rôle au sein de différentes professions libérales, et en milieu professionnel.

Face à l’omniprésence de l’écrit sur les réseaux sociaux, quelle est la place de l’expression orale aujourd’hui ?

La parole reste aujourd’hui l’oasis des relations humaines, au milieu de l’océan d’anonymat dans lequel nous évoluons. Elle restera toujours plus valorisée que la communication digitale, certes plus efficace, mais souvent sèche et autoritaire. Que ce soit par l’écrit ou par l’image, on ne dialogue pas sur les réseaux, on impose. Avec la parole et le dialogue, on est au contraire attentif à l’autre, à ce qu’il pense, ce qu’il se demande, ce qu’il attend de vous, etc. Il y a une énergie qui circule, qui modifie la pensée de l’un et de l’autre et constitue le résidu d’interactions sociales dans nos sociétés du monologue.

Alors comment réinventer l’éloquence au sein de ces nouveaux espaces de communication, où il faut être synthétique, et comme vous le disiez, autoritaire dans ses prises de parole ?

Cela me semble difficile. L’éloquence suppose la nuance, la complexité et donc, le doute. Il existe évidemment une certaine éloquence de la « punchline » mais elle est une forme dégradée de l’art oratoire. Aujourd’hui, ce sont les idées fortes et arrêtées qui priment, sans place pour la nuance. Il est d’ailleurs intéressant de voir que les éloquences diverses, politique, judiciaire ou même religieuse, ont été remisées dans les théâtres, comme des objets d’art et de divertissement. Comme elles n’ont plus leur place dans la société, elles sont devenues ces pièces de musée que l’on redécouvre dans les salles, pour se remémorer un passé où l’on avait le temps de se parler.

Pensez-vous que les nouvelles générations soient définitivement brouillées avec l’expression orale ?

Non, absolument pas. Il y a, au contraire, un vrai regain de la jeunesse pour l’expression orale. On le voit avec le fort soutien des élèves pour le Grand Oral du Bac, créé l’an dernier et dont les associations lycéennes réclament le maintien. Ils savent qu’un stage, un concours, un emploi, ça ne se gagne pas sur les réseaux sociaux. Cette écriture digitale a ses limites et ils réalisent très bien qu’à des moments importants de leur parcours, la parole interviendra. Idem en ce qui concerne leurs engagements citoyens. Là encore, la parole a son importance, pour défendre leurs causes par le plaidoyer, par la prise de parole, par l'éloquence… L’activisme digital ne suffit pas et ils en sont conscients.

Au-delà de vos activités d’enseignant et d’écrivain, vous êtes aussi avocat de profession. Comment l’art oratoire a-t-il évolué au sein de cette profession ?

Je dirais qu’elle s’est adaptée autour de l’exigence d’efficacité, avec le juge comme maître des horloges. La justice n’ayant plus le temps, il faut que la parole judiciaire soit ramassée, concise, dense, efficace et précise. Plus personne ne ferait d’effet de manche aujourd’hui, ce serait considéré comme tout à fait suranné. Il est toujours possible de jouer le registre de l’émotion, mais plus celui de l’emphase et de la boursouflure. Est-ce pour autant une dégradation de la plaidoirie ? Plutôt une transformation, vers une parole plus efficace, plus technique, et, au final, plus utile au juge et à la prise de décision. La plaidoirie et l’éloquence ont toujours leur importance auprès du client, pour qu’il se sente entendu et écouté par l'intermédiaire de celui qui le représente. Quelle que soit la décision rendue, elle sera toujours plus facile à accepter s’il y a ce sentiment d’avoir été entendu. Mais pour le reste, l’exigence première de la parole judiciaire reste d’aller droit au but.

L’expression orale semble aussi nécessaire pour beaucoup d’autres métiers, notamment ceux de la santé. Avez-vous une expérience particulière avec ces professionnels ?

Pour mon dernier livre, Sauve qui parle, j’ai absolument voulu interviewer un médecin, pour justement comprendre son rapport à la parole. J’ai rencontré une neurologue à Lorient, qui est aussi romancière, et cela a donné lieu à un très beau chapitre sur la capacité à mettre les mots justes sur la souffrance, sur la mort, sur les espoirs et les réalités. Face à cet exercice, beaucoup de médecins se sentent livrés à eux-mêmes, car insuffisamment formés à la prise de parole. Être transparent ou ne pas l’être ? Rester dans son rôle de sachant ou en sortir ? Parler plutôt à la famille ou au patient ? Au confluent entre la science et l’humanité, les médecins ont besoin, plus que quiconque, de l’expression orale dans l’exercice de leur métier. Je ne sais pas si la parole soigne, mais elle explique et dans l’idéal elle apaise. Elle permet de doser entre le rationnel et l’émotionnel. Elle crée cette épaisseur supplémentaire, au-delà du diagnostic, qui fait qu’un patient n’est pas seulement un cas clinique.

D’un point de vue individuel, peut-on, selon vous, être éloquent et introverti ?

Dans la galerie de portraits présentée dans Sauve qui parle, c’est assez frappant de voir que tous ces gens qui sont aujourd’hui connus pour leur éloquence, comme Guillaume Gallienne, Guillaume Meurice, Richard Malka, Gabriel Attal…, tous disent que la parole n’est pas un don, mais une conquête. Je parierais bien volontiers sur le fait que ceux qui connaissent le prix de la parole et pour lesquels c’est le plus compliqué, sont ceux qui développent la parole la plus riche. À l’inverse, ceux qui ont la parole facile vont être moins exigeants et développent donc une parole certes abondante, mais faible. Après, il y a évidemment la question de l’aisance. Certaines personnes sont techniquement irréprochables, mais restent encalminés parce qu’ils ont une difficulté à exprimer ce qu’ils savent. Ce sont d’excellents professionnels et pour autant, il leur manque cette dimension de transmission et de partage, qui est le propre de la parole. Cette lacune n’est toutefois pas insurmontable : il vous suffit d’écouter les gens autour de vous, de vous en inspirer, puis d’oser prendre la parole, quitte à échouer. N’allez pas croire qu’il existe une méthode parfaite pour devenir éloquent, comme l’affirment certains « coachs ». La meilleure formation, c’est d’écouter et d’essayer chaque jour un peu plus.

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