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Le nouveau régime des lanceurs d’alerte : un outil stratégique de maîtrise des risques

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Le nouveau régime des lanceurs d’alerte : un outil stratégique de maîtrise des risques
Le nouveau régime des lanceurs d’alerte : un outil stratégique de maîtrise des risques

L’émergence d’une réglementation protégeant les lanceurs d’alerte, récemment modifiée et harmonisée à l’échelle européenne, a pu être perçue par les entreprises comme une contrainte et même comme une menace. Qu’en est-il réellement, un an tout juste après l’entrée en vigueur de la loi Waserman ? En quoi les professions réglementées sont-elles concernées par ces dispositions ? 
Luc-Marie Augagneur, avocat associé chez Cornet Vincent Ségurel et Anaëlle Idjeri, avocat, nous offrent une analyse pointue de ce nouveau cadre légal protecteur qui contribue aux politiques de responsabilité sociale et environnementale et favorise une culture éthique. 

Faciliter les révélations des turpitudes internes à l’entreprise ne constituent pas, de prime abord, une perspective réjouissante. Pourtant, si le cadre légal existant offre désormais une protection renforcée en obligeant, notamment, les entités du secteur privé de plus de 50 salariés à mettre en œuvre une procédure d’alerte interne, cette obligation fait apparaître des opportunités et se révèle être un excellent outil de maîtrise des risques.

Une définition étendue du lanceur d’alerte 

la loi « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte » du 21 mars 2022 dite « Loi Waserman*», définit le lanceur d’alerte comme une « personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l'intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d'une violation d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, du droit de l'Union européenne, de la loi ou du règlement ».
L’octroi du statut protecteur du lanceur d’alerte est conditionné à : 

  • la dénonciation d’atteintes à l’intérêt général et non plus, comme sous l’empire de la Loi Sapin II, à la seule commission d’une infraction pénale ou d’une violation d’une norme. Ce qui inclut, en conséquence, non seulement les violations de différentes réglementations (sociales, environnementales, sanitaires, économiques, etc.), mais aussi, potentiellement, d’autres pratiques qui heurteraient des principes essentiels ;
  • la bonne foi de l’auteur de l’alerte ; 
  • l’absence de contrepartie financière directe. L’extension de la protection assurée au lanceur d’alerte est notable, puisque jusqu’ici, la protection n’était assurée que lorsqu’il agissait de manière désintéressée. En d’autres termes, un intérêt moral, de réputation, voire un intérêt financier indirect ne sont plus de nature à exclure automatiquement la protection associée. La connaissance personnelle de ces informations, sauf lorsqu'elles lui sont parvenues dans le cadre de son activité professionnelle. 

Certains professionnels exclus du champ de l’alerte

Indépendamment du caractère éthique de l’alerte lancée, la dénonciation de certains faits reste exclue de la protection accordée au lanceur d’alerte. En particulier, les faits, les informations et les documents dont la révélation ou la divulgation est interdite par les dispositions relatives au secret de la défense nationale, au secret médical ou encore au secret professionnel de l’avocat sont exclus du périmètre. 

Néanmoins, le régime protecteur du lanceur d’alerte peut trouver à s’appliquer, y compris à des personnes soumises à des secrets particuliers dans le cadre de leurs professions. Par exemple, au professionnel de santé qui dénonce des faits relatifs à un risque grave pour la santé ou l’environnement bénéficie du statut ; ou qui, informé de privation, mauvais traitements ou atteintes infligées à des personnes vulnérables ou mineures, les divulgue. Étant précisé que cette protection est doublée d’une obligation de révélation, dont le non-respect est sanctionné pénalement. 

Un signalement facilité 

La Loi Waserman marque ici une différence fondamentale avec la Loi Sapin II en offrant la possibilité à l’auteur de l’alerte d’utiliser l’un des canaux ci-dessous à sa discrétion, sans priorité :

  • le canal interne instauré par l’entreprise, c’est-à-dire le signalement fait dans le cadre du dispositif spécifique que les sociétés de plus de 50 salariés doivent mettre en      place ; 
  • le canal externe constitué d’une liste d’autorités désignées par le décret n° 2022-1284 du 3 octobre 2022. Ces autorités incluent non seulement le procureur de la République, mais aussi des autorités professionnelles. Ainsi, en matière de santé publique, les différents Conseils nationaux (par exemple de l’Ordre des médecins, des chirurgiens-dentistes, etc.) ou encore la Haute Autorité de Santé (HAS), sont compétents pour accueillir ces alertes. 

La divulgation publique, notamment par voie de presse, sans alerte externe préalable, rendue possible en l’absence de réaction des autorités dans un délai raisonnable, peut même être mise en œuvre immédiatement en cas de danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général.

La protection du lanceur d’alerte, largement accrue

L’impératif de confidentialité qui était jusque-là garanti à l’auteur de l’alerte est désormais étendu à son entourage (notamment aux facilitateurs, collègues, cercle familial mais également à certaines personnes morales), ainsi qu’à l’ensemble des tiers mentionnés dans le signalement. 
En outre, le lanceur d’alerte bénéficie d’une protection contre les éventuelles représailles dont il pourrait faire l’objet, notamment contre un licenciement (l’employeur devant dans ce cas établir que la rupture du contrat est sans lien avec l’alerte). 
L’innovation la plus significative contenue dans la Loi Waserman est l’irresponsabilité pénale et civile dont le lanceur d’alerte bénéficie jusqu’à ce que soit démontrée par l’entité ou la personne visée par l’alerte l’existence, notamment, d’une atteinte à la vie privée ou encore du caractère calomnieux ou mensonger de la dénonciation.  
Outre cette protection, le lanceur d’alerte bénéficie de garanties procédurales comme la présomption qu’il a respecté les conditions de l’alerte ou encore l’allocation d’une provision destinée à couvrir ses frais avant toute décision judiciaire. 

L’alerte interne : une opportunité de maîtriser les risques plutôt que de les subir 

L’alerte interne ne doit pas s’envisager (seulement) comme une procédure contraignante et purement formaliste. Une approche pragmatique peut la transformer en véritable outil de transformation culturelle de la gestion des risques et de la place de la RSE.  
En effet, son efficacité est conditionnée non seulement à l’existence des garanties requises – par exemple en termes de confidentialité, d’absence de représailles ou encore de sécurité des données – mais également au déploiement d’efforts pédagogiques et à l’instauration d’un dialogue avec les membres de l’organisation concernée. 
Plutôt que de subir une révélation tardive, lorsque le préjudice est devenu irréversible et que le risque juridique est devenu trop lourd, les entreprises ont un intérêt évident à pouvoir faire émerger précocement les préoccupations sanitaires, sociales, environnementales, concurrentielles ou de probité. Indépendamment même d’une fonction vertueuse, l’appréhension adaptée des risques à un stade mineur se trouve confrontée à la difficulté de leur détection.
Plus encore, en assurant une remontée d’informations, la procédure d’alerte interne est un outil précieux de nature à permettre à la structure de résoudre les difficultés existantes, voire de les anticiper. In fine, l’organisation se trouve en capacité de réduire non seulement son exposition à un risque de sanction, mais aussi au risque réputationnel qui lui échappe bien souvent. 
L’ensemble des professions réglementées est particulièrement exposé à certaines catégories de risque (fraude, blanchiment, etc., pour les professions du droit et du chiffre ; risque sanitaire pour les professions médicales). Les entreprises ont donc un intérêt particulier à canaliser, organiser et normaliser le cadre des signalements, y compris lorsqu’elles ne sont pas dans le champ d’application des obligations, pour éviter d’être débordées par les conséquences de signalements externes. Pour autant, elles ne doivent certainement pas considérer qu’il puisse s’agir d’un moyen ou d’une finalité de faire obstacle à la progression de l’alerte. C’est au contraire pour pouvoir s’en saisir elles-mêmes, le cas échéant en réalisant les enquêtes internes nécessaires dans le cadre du respect des droits fondamentaux, du droit du travail, des règles déontologiques propres à chaque profession et des principes élémentaires applicables. Elles doivent ensuite prendre les mesures nécessaires induites par des responsabilités éventuelles et par une remédiation (managériale, juridique ou technique) ; ce qui n’est pas sans poser différentes difficultés, en particulier pour lever efficacement les conflits d’intérêt internes.
Les entreprises se trouvent en conséquence investies d’une responsabilité d’enquête et de décision sur les atteintes qui surviennent dans le cadre de leur activité, même lorsqu’elles ne sont pas directement coupables de manquements. Si cette responsabilité n’est pas leur vocation initiale, elle apparaît non seulement nécessaire à l’intérêt général, mais également utile à protéger l’entreprise contre des situations menaçant son patrimoine et sa réputation. Une façon de maîtriser leur destin, plutôt que de le subir.


* La loi « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte » du 21 mars 2022 dite « Loi Waserman » - transposant la Directive européenne sur la protection des lanceurs d’alerte UE 2019/1937 – et le décret d’application du 3 octobre 2022 ont introduit plusieurs modifications substantielles du dispositif instauré par la Loi Sapin II du 9 décembre 2016 relative à la transparence, la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
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