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L’expert immobilier, un allié trop souvent ignoré ?

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L’expert immobilier, un allié trop souvent ignoré ?
L’expert immobilier, un allié trop souvent ignoré ?

Dans un contexte de réglementation mouvante et de parcours d’installation parfois complexes, l’expertise immobilière indépendante offre un appui technique fiable, que ce soit pour des projets d’acquisition ou en cas de contentieux. Indépendance, sécurité des évaluations, dialogue avec les banques, sont autant d’atouts que la profession souhaite mieux faire reconnaître.

Rencontre avec Patrick Caputo, expert immobilier près la cour d’appel d’Aix-en-Provence et président du Syndicat National des Experts Immobiliers (SNEI), pour qui le recours à l’expertise immobilière reste encore beaucoup trop marginal.

Dans quels cas le recours à un expert immobilier s’avère-t-il pertinent ?

L’expert immobilier peut intervenir à différents niveaux, selon le type de procédure et l’objectif recherché. Il est notamment compétent pour établir des valeurs locatives, notamment en matière de baux commerciaux, professionnels ou d’habitation. Par ailleurs, un particulier ou un professionnel peut parfaitement faire appel à un expert pour obtenir une évaluation de son bien, dans le cadre d’un projet de vente, d’une succession ou d’un divorce. En dehors de tout litige, l’expertise est unilatérale, mais elle peut utilement appuyer une position ou servir de base de discussion. Elle peut également être précieuse en matière d’assurance, notamment lorsque le bien est atypique - un château, un immeuble de caractère, ou encore un local avec des aménagements professionnels spécifiques. Dans ce cas, l’expertise permet de défendre une valeur de référence crédible auprès de l’assureur et d’éviter l’application automatique de coefficients de vétusté inadaptés. Elle contribue ainsi à une valorisation juste et sur mesure du bien concerné.

Expert immobilier, agent, qu’est-ce qui les différencie ?

L’apport de l’expert est avant tout la garantie de l’indépendance. Il n’est pas dans une logique de transaction comme pourrait l’être l’agent immobilier. Il répond strictement à la question de la valorisation du bien et engage sa responsabilité sur sa valorisation. C’est pourquoi, il est essentiel de s’assurer que l’expert intervient dans le respect de la charte de l’expertise en évaluation immobilière et, idéalement, qu’il bénéficie de la certification européenne REV TEGoVA, gage de compétence et d’éthique.

Et dans un cadre contentieux ? Quelle est la place de l’expert immobilier ?En m

atière contentieuse - qu’elle soit amiable ou judiciaire - l’expert immobilier joue un rôle central en tant que tiers indépendant. Son évaluation permettra d’éclairer la décision des parties et du juge. Dans un contexte amiable, il peut être intéressant que les deux avocats s’accordent pour choisir le même expert afin d’obtenir un rapport reconnu par chacun, dans le respect du principe du contradictoire. Par ailleurs, depuis le décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 applicable depuis le 1er novembre 2021, le rapport d’expertise amiable contradictoire est désormais assimilé à l’expertise judiciaire. Cela s’inscrit dans le cadre du développement des modes amiables de règlement des différends (MARD), procédures dans lesquelles les experts immobiliers trouvent finalement leur place. Si un accord n’est pas possible, le juge désigne un expert judiciaire inscrit sur les listes de cour d’appel. Dans tous les cas, l’objectif est d’obtenir une évaluation impartiale et rigoureuse qui puisse être prise en compte dans le cadre juridique du dossier.

Quels sont les principaux freins que peuvent rencontrer les professionnels libéraux lorsqu’ils souhaitent acquérir leurs locaux ?

En matière de financement immobilier, comme ailleurs, la tendance est celle d’un cadre de plus en plus normé avec des critères exigeants qui s’appuient sur des règles européennes de prudence financière. C’est parfois compliqué pour les professionnels libéraux qui souhaitent acquérir leurs locaux, en particulier pour les primo-accédants qui ne sont pas toujours en mesure de justifier de l’antériorité d’activité requise, ou d’un niveau de revenus stabilisé.

Dans ce contexte, bien s’entourer devient essentiel. Je pense bien sûr aux experts immobiliers, qui peuvent apporter une évaluation objective du bien, mais aussi aux partenaires bancaires spécialisés, comme Interfimo par exemple, avec qui nous avons établi un partenariat, capables d’analyser la viabilité d’un projet dans sa globalité, en tenant compte notamment du potentiel professionnel et des perspectives d’évolution du praticien.

Quels nouveaux modèles observez-vous aujourd’hui dans l’immobilier des professions libérales ?

Il y a clairement une montée en puissance des modèles partagés et collaboratifs, en particulier chez les jeunes professionnels. La pratique en solo devient rare et de plus en plus de praticiens choisissent de mutualiser leurs locaux et leurs moyens. Ce modèle répond à des enjeux de réduction des coûts ainsi qu’à la volonté de création de synergies entre professionnels. Il est une réponse concrète à la difficulté d’accès au foncier dans certaines zones urbaines, mais aussi à une attente générationnelle d’exercer de manière indépendante, tout en restant intégré dans un environnement collectif.

Face à un cadre réglementaire fluctuant, quel accompagnement le SNEI met-il à disposition de ses membres ?

L’environnement législatif et réglementaire dans l’immobilier évolue sans cesse en effet... Prenons l’exemple des baux commerciaux : c’est un domaine qui a toujours été générateur de contentieux — et je parle d’expérience en tant qu’expert immobilier et ancien huissier de justice. Ces dernières années, on constate une accélération des évolutions, notamment depuis la loi Pinel, puis à travers une série de décrets successifs. À cela s’ajoutent des textes en préparation au Parlement, qui devraient encore modifier les équilibres contractuels. On attend, par exemple, une réforme sur la répartition de la taxe foncière, qui pourrait passer entièrement à la charge du bailleur, ce qui aurait un impact direct sur la négociation des loyers.

Cette surcharge législative, parfois mal anticipée ou mal interprétée, est source de tensions et peut générer de nouveaux contentieux entre bailleurs et preneurs. Le SNEI accompagne ses membres par le biais de notes d’informations et bulletins, ainsi que des formations juridiques continues, pour leur permettre d’anticiper les risques et d’ajuster leurs pratiques contractuelles en conséquence.

Quelles évolutions seraient, selon vous, souhaitables pour renforcer le rôle des experts immobiliers, notamment dans les parcours d’installation ou de financement des professions libérales ?

Le recours aux experts indépendants reste encore trop marginal, notamment dans le secteur bancaire français. Contrairement à ce que l’on observe en Suisse, par exemple, les établissements financiers en France ne sollicitent pas systématiquement des experts immobiliers agréés, ce qui peut conduire à passer à côté d’analyses techniquement solides et donc sécurisantes pour les dossiers de financement. Il serait souhaitable qu’en France, les échanges entre banques et experts deviennent à l’avenir plus automatiques et harmonisés, ce qui favoriserait une prise de décision mieux éclairée.

Deux évolutions me paraissent essentielles : tout d’abord, une délimitation plus claire du rôle de l’expert vis-à-vis des banques, afin de faciliter la prise en compte de ses rapports comme un véritable outil de sécurisation des opérations. Ensuite, une meilleure structuration de la profession elle-même. Aujourd’hui, les experts immobiliers relèvent de plusieurs chambres, sans cadre réglementaire unifié. Faire évoluer la profession vers un statut réglementé, à l’image d’autres professions libérales, permettrait à la fois une organisation plus lisible pour les clients et les partenaires bancaires, et une meilleure reconnaissance institutionnelle. Beaucoup de présidents de chambre soutiennent aujourd’hui cette orientation.

Quels conseils donnez-vous à un professionnel libéral qui cherche à s’installer ou à changer de local en 2025 ?

Certains éléments clés doivent être anticipés, notamment en matière de financement et de garanties. Les banques restent encore très attachées à des documents standards externes de type tableaux à remplir. Il me parait judicieux de se rapprocher d’établissements qui acceptent des garanties plus personnalisées, notamment des rapports d’expertise immobilière indépendants. C’est un point à ne pas négliger. À noter que lorsque l’expert est membre d’un organisme agréé ou signataire de la Charte de l’expertise en évaluation immobilière, les banques sont généralement plus réceptives et enclines à prendre en compte l’expertise dans leur processus décisionnel.

Par ailleurs, d’un point de vue opérationnel, il me semble opportun d’inviter la personne en charge du dossier de prêt (conseiller ou analyste crédit) à prendre contact directement avec l’expert immobilier choisi par le demandeur. Cet échange permet parfois de lever certaines incompréhensions et de débloquer plus rapidement l’acceptation du financement.

 

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