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En deux ans, quels changements ? Vision transversale des mutations

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En deux ans, quels changements ? Vision transversale des mutations
En deux ans, quels changements ? Vision transversale des mutations

Le monde change et les professions libérales aussi !
Pour sa newsletter de l’été, Interfimo a souhaité réunir les professionnels qui ont contribué aux différents numéros d’Onlib’Infos depuis sa création en 2021. Autour d’une seule question : « Qu’est-ce qui, selon vous, a marqué le plus votre profession ces deux dernières années ? » Réformes, évolutions sociétales, changements de cap, nouvelles façons de travailler, attentes des jeunes... Les réponses apportées reflètent des changements profonds et visibles quelles que soient les professions et les générations concernées.
Merci à tous ceux qui nous ont répondu pour permettre cette vision transversale des mutations*.

« Mutation » est certainement le mot qui revient le plus dans les réponses des professionnels interrogés. Avec, en conséquence d’attentes toujours plus fortes, la nécessité a minima de s’adapter rapidement et, au mieux, d’anticiper, pour commencer à repenser le monde d’après.

S’organiser autrement, avec l’IA

Initiateur vs suiveurs

L’intelligence artificielle ressort comme un des catalyseurs majeurs ayant façonné le paysage des professions libérales de ces dernières années, toutes professions confondues. Didier Plane, dirigeant d’Avensi Consulting et président-fondateur des Trophées Marketing communication de la profession comptable observe deux années en « trompe l’œil » durant lesquelles ce changement de paradigme a été une réelle source d’opportunité, « à condition d’avoir été initiateur et non suiveur ». Par exemple, en termes de management, « il s’agit de ceux qui ont su adapter leurs forces vives en capitalisant sur des profils de managers de crise par nature, sachant sortir du cadre face à un environnement futur nécessitant de constants ajustements » précise Didier Plane.
Cette vision globale est partagée par Philippe Bonnin, directeur général de GVA/Semaphores, pour qui il est urgent « d’ouvrir à des profils différents, accueillir des compétences plus larges (...) et travailler sur la nécessaire adaptation des compétences des équipes en place afin de répondre à l’enjeu de se positionner davantage sur la relation avec le client et l’accompagnement opérationnel des projets de l’entreprise ». Certaines professions à l’ADN « prudent » se sont sans doute senties plus fortement bousculées que d’autres, comme l’explique Alexia Arno, présidente et fondatrice de Lab Notaires : « Il n’est pas de l’ADN du notaire de prendre des risques. La pérennité de la profession entend se fonder essentiellement sur un critère de confiance qu’a la population en son notaire, officier public garant de l’intérêt général. Ainsi, pour préserver ce crédit, les usages de la profession se sont ancrés dans le temps. Et pourtant, comme les autres, la profession évolue, confrontée à de nouveaux enjeux : une société ultra connectée où la connaissance est accessible en un clic et un rythme effréné qui fait de la réactivité un critère supérieur à la compétence pour une partie de la clientèle. »

La « valeur ajoutée » mise à mal ?

En termes de valeur ajoutée, les indicateurs aussi doivent changer... De fait, constate Philippe Taboulet, expert-comptable, « l’intervention de l’IA dans les tâches bouscule les exigences et l’on peut s’inquiéter de cette orientation vers le conseil de haut niveau, qui n’est peut-être pas accessible à tous ». Pour Maud Bodin-Veraldi, expert-comptable et commissaire aux comptes, « force est de constater qu’il sera de plus en plus nécessaire de trouver des axes novateurs de conseil et de faire en sorte que les analyses financières des bilans de nos clients ne soient ni standardisées ni aseptisées. Avec, à la clé, des conséquences sur l’emploi et une politique de gestion des compétences à adapter, afin de ne pas exagérément favoriser ceux qui arriveront à prendre de la hauteur au détriment de ceux qui seront dépassés par la machine ». 

Nouveaux outils, nouveaux process, nouvelles priorités...

Ces deux années de mutation « ont impacté la capacité à maintenir et accroitre le capital humain et la nécessité de faire les bons choix technologiques pour une performance renouvelée » constate Didier Plane. C’est également le constat d’Alexia Arno : « Pour demeurer au centre des nouveaux besoins de la population, le notariat travaille actuellement à proposer de nouveaux services. Lab Notaire participe à l’élaboration d’un outil évitant aux héritiers de rechercher les documents et informations relatives au patrimoine du défunt afin de faciliter et accélérer la liquidation de la succession. »
Pour Alexandre Marion, avocat dédié au secteur financier, au sein du cabinet La Tour International, « la digitalisation du secteur toujours plus forte s’exprime notamment par un déploiement croissant de solutions de paiement mobiles et une intelligence artificielle qui tend à répondre aux préoccupations des clients, tout en facilitant le travail de l’ombre (back office) des établissements du secteur. Je remarque aussi un mouvement du secteur vers le déploiement toujours plus important de solutions informatiques fonctionnant à partir de l’informatique « en nuage » (cloud services via l’IaaS, le PaaS ou le SaaS) avec une importance croissante donnée à des systèmes informatiques résilients afin d’assurer l’intégrité, la confidentialité et la disponibilité d’un nombre croissant de données gérées ».

Mutations des professions

Qu’il s’agisse de réformes juridiques ou de changements directement imposés par le contexte social, économique ou sanitaire, plusieurs professions ont été fortement impactées ces deux dernières années par des mutations d’exercices profondes et durables.

Réforme du régime des sociétés d'exercice

Pour Audrey Chemouli, Associée et co-fondatrice du cabinet Chemouli Professions Libérales, « les deux changements les plus importants des 24 derniers mois ont eu lieu sur les 8 derniers mois ». Tout d’abord la modification de la doctrine de l'administration fiscale sur les rémunérations techniques des associés de SEL qui a aligné sa position sur celle de la jurisprudence, considérant que ces rémunérations devaient être déclarées dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. « Si ce changement de doctrine a eu le mérite de clarifier la situation, je ne suis pas certaine qu'elle aille dans le sens d'une optimisation des rémunérations des professionnels » s’inquiète Audrey Chemouli. L'autre changement significatif est bien sûr la publication de l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 qui réforme en profondeur le droit des structures professionnelles utilisées par les professions libérales.
« Si cette ordonnance laisse certaines zones d'ombres, elle aura eu le mérite également de clarifier certains points, espérons que les décrets aillent dans le même sens » conclue Audrey Chemouli. Cette réforme a également marqué Philippe Touzet, avocat, fondateur du cabinet TouzetAssociés, directement impliqué dans les négociations avec les pouvoirs publics en sa qualité de président de la commission du statut professionnel de l'avocat du conseil national des barreaux. « Au cours des négociations durant ces deux années, nous avons travaillé de façon constante et détaillée avec les pouvoirs publics afin de clarifier les dispositions de la loi du 31 décembre 1990, que tous les acteurs s'accordaient pour trouver inintelligible. Nous avons pu, en outre, obtenir des pouvoirs publics des améliorations notables, sur toute une série de sujets relatifs aux sociétés d'exercice libéral et aux sociétés de participations financières. Nous avons bénéficié d'une écoute extrêmement attentive de la part de la Direction générale des Entreprises (DGE). »

Naissance des commissaires de justice

Une fusion tout simplement. Celle des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires (environ cinq fois moins nombreux que les huissiers), devenus commissaires de justice depuis le 1er juillet 2022. Ces deux dernières années ont été marquées par l’échange entre ces deux professions et leur formation accélérée, possible jusqu’en 2026. Pour Charles Baboin-Jaubert, ancien commissaire-priseur judiciaire et désormais commissaire de justice chez Audap & Associés, cette fusion doit être vue comme une opportunité : « les deux professions n’étaient pas sur un même niveau de rentabilité et cette fusion participe d’un renouveau économique », même si « l’enjeu est de continuer à se distinguer dans cette profession commune » précise Artus de Lamberterie, également commissaire de justice chez Audap & Associés.

-> A lire ou relire : la récente interview de Benoît Santoire, Président de la Chambre nationale des commissaires de justice (OnLib’Infos, juillet 2023).

Les nouveaux pharmaciens

« Augmentation des taux, pénurie de diplômes et donc de personnel, désertification médicale, absence de repreneurs, ... Le marché de la pharmacie a été fortement atteint par la crise économique, la réforme des études de santé et, bien sûr, par la crise sanitaire qui a entrainé une réelle mutation du métier » explique d’Aurélien Filoche, directeur général et co-fondateur de OuiPharma. Car la pandémie a en effet changé la donne, impulsant de nouvelles missions pour le pharmacien. « Le Covid 19 a fortement impacté le statut du pharmacien, l’intégrant beaucoup plus au centre du parcours de soin en élargissant son champ de compétences » explique Romain Gallerand, porte-parole de l’Association Nationale des Étudiants en Pharmacie de France (ANEPF). En effet, de nouvelles missions ont été actées dans la nouvelle convention pharmaceutique entrée en vigueur le 7 mai 2022 et autorisant le pharmacien à administrer un certain nombre de vaccins obligatoires. « Depuis, le pharmacien est le premier maillon du système de soin en France puisqu'il a un rôle à part entière de ce système. Il s'inscrit également dans une démarche globale de premier recours. C'est un véritable acteur de santé publique » renchérit Servanne Lalinec, vice-présidente en charge des perspectives professionnelles de l’ANEPF.

Et les médecins dans tout cela ?

Franck Devulder, président de la Confédération des Syndicats Médicaux Français (CSMF) résume en une seule phrase l’évolution de la situation des médecins. Ce qui a marqué ces deux dernières années ? « La difficulté croissante d'accès aux soins et l’absence de moyens donnés par le Gouvernement pour y faire face, avec l’exemple flagrant de l'échec des négociations conventionnelles médecins ». 

-> A lire ou relire : l’interview de Franck Devulder, président de la CSMF (OnLib’Infos, février 2023).

Financiarisation vs indépendance chez les vétérinaires

La question de la financiarisation des professions est centrale dans beaucoup de professions et notamment pour les vétérinaires, comme le souligne Chantal Legrand, maître de conférences associée en management, marketing et gestion à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (EnvA) et qui relève, comme l’évènement le plus marquant de ce deux dernière années, « l’emballement de la consolidation des structures de soins vétérinaire dédiées aux animaux de compagnie et un taux de consolidation passé de moins de 5 % à plus de 35 % en deux ans, avec un phénomène accentué en zone urbaine et péri-urbaine ». Un emballement souligné également par Rémi Gellé, associé gérant au sein du réseau V+, président de l’association Europetnet : « La consolidation et la financiarisation des cliniques vétérinaires en France concerne aujourd'hui plus de 20 % des établissements avec des projections allant jusqu'à 50 % des structures. Les investisseurs sont soit des private equity soit des entreprises de la filière (fabricants de Petfood en particulier). Ils remettent en cause l'indépendance du vétérinaire libéral en s'appropriant la détention du capital, en fixant des objectifs de rentabilité et en spoliant les principes d'initiative, de jouissance tout en leur « réservant » le principe de responsabilité (ordinale, sociale, civile et pénale) des professionnels libéraux que sont les vétérinaires. Il en ressort que la possibilité de financer les projets de plateaux techniques, de structuration en réseaux de compétences d'entreprises indépendantes est un enjeu majeur pour ceux qui rejettent l'aliénation de leur indépendance. »

Les architectes au cœur des crises climatique et sociale

Façonnée par les défis technologiques, environnementaux et sociétaux, la profession d’architecte évolue constamment et rapidement. Ces dernières années ont été marquées, notamment, par son implication « pour accompagner la population dans la réussite de la réduction de l’amplitude du réchauffement climatique » souligne Michel Jarleton, vice-président de l’Union nationale des syndicats français d’architectes (Unsfa) qui salue la prise de conscience par les pouvoirs publics sur les objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre dans le bâtiment : « aborder la rénovation globalement, avec l’aide d’une maîtrise d’œuvre compétente et qualifiée, apparaît enfin, pour tous, comme nécessaire au regard des objectifs 2030 et 2050 ».
Autre enjeu prioritaire : la crise du logement sur laquelle le constat est plus amère. Michel Jarleton dénonce en effet « le ralentissement des études de projet de logements depuis plus d’un an, qui préfigure un accroissement du déficit endémique, notamment en logements sociaux pour les prochaines années. Cette crise du logement avec son inertie ne trouve pas son écho dans une temporalité d’échéance politique. Les conséquences pour la population, l’économie du pays, le bâtiment en général et les entreprises d’architecture en particulier risquent d’être dramatiques pour les années à venir ».

Génération chamboule-tout

Équilibre vie privée/vie perso

Autre changement majeur, celui de l’évolution du profil des jeunes et de leurs attentes par rapport au travail. Pour Etienne Pujol, avocat au barreau de Paris, « les jeunes qui entrent sur le marché ont des aspirations par rapport à leur équilibre vie personnelle / vie professionnelle qui sont contre-intuitives par rapport à une activité de profession libérale et sous-estiment trop souvent ce qu'implique d'être indépendant. » Même constat chez les pharmaciens, comme nous l’explique Aurélien Filoche : « on perçoit depuis quelques années un vrai changement sociétal lié aux nouvelles exigences des jeunes en matière d’équilibre vie professionnelle vie privée. Les contraintes d’ouverture ou encore le travail le week-end sont aujourd’hui un frein réel à l’installation. »

Chacun cherche son sens

Chantal Legrand constate que « l’arrivée des vétérinaires de la génération Z sur le marché du travail, avec leur exigence d’équilibre vie privée-vie professionnelle et leur quête de sens et de bien-être au travail, chamboule l’organisation des cliniques ». Avec, à la clé, des problèmes de recrutement et une difficulté majeure pour les structures de soins vétérinaires : « celle d’avoir une équipe soignante capable de répondre à la demande des propriétaires d’animaux de compagnie ».
Pour Gaël Salomon, fondateur de Bérénice Conseil et observateur transversal des bouleversements sociétaux, « cette question du sens est une réalité qui ne concerne plus seulement les jeunes aujourd’hui. Elle est devenue un phénomène transgénérationnel, avec, depuis la crise sanitaire et le home-office imposé, un recentrage général des valeurs sur l’humain, sur la relation et sur l’équilibre de vie ». 
 

* L’article se réfère aux réponses reçues par la rédaction et n’est donc pas exhaustif sur les sujets marquant de ces deux dernières années
 

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