La newsletter OnLib'Infos

Des articles dédiés à toutes les professions libérales

Cancer : le tournant des quinze prochaines années

Toutes professions libérales
Cancer : le tournant des quinze prochaines années
Cancer : le tournant des quinze prochaines années

Alors que 40 % des cancers pourraient être évités et qu’un tiers demeure incurable, la lutte contre la maladie reste un enjeu majeur de santé publique. Recherche, prévention, diagnostic précoce, suivi personnalisé... À la tête de Gustave Roussy, premier centre européen de lutte contre le cancer, le Professeur Fabrice Barlesi trace une feuille de route ambitieuse pour les quinze prochaines années, avec un objectif : atteindre 80 % de taux de guérison à l’horizon 2040. Parmi les leviers clés, une médecine décloisonnée pour une coordination renforcée avec les médecins libéraux.

Quels sont les trois principaux constats aujourd’hui sur l’évolution des cancers dans le monde ?

Tout d’abord, on constate une augmentation générale du nombre des cancers, multiplié par deux au cours des trente dernières années. Cette hausse s’explique notamment par un vieillissement de la population et des diagnostics posés plus régulièrement, notamment chez des patients plus âgés.

Deuxième constat, celui d’une progression préoccupante et encore mal comprise, de certains types de cancers chez les moins de 40 ans, notamment digestifs mais aussi de la thyroïde, du sein ou du rein... Certaines causes peuvent être évoquées comme le surpoids, la sédentarité ou des facteurs environnementaux, mais sans démonstration formelle.

Enfin, et c’est un constat très positif, les progrès accomplis sont considérables. La mortalité par cancer diminue régulièrement et aujourd’hui, en France, deux personnes sur trois guérissent de leur cancer - contre une sur deux dans les années 1990. C’est le fruit de décennies de recherche scientifique, de percées technologiques et d’une meilleure compréhension de la biologie des tumeurs. Mais il reste un tiers des patients que nous ne savons pas encore guérir.

Où en est aujourd’hui le dépistage du cancer du poumon en France ? Est-il opérationnel ?

Les choses évoluent lentement en France, alors que le dépistage du cancer du poumon est déjà implémenté aux États-Unis et dans de nombreux pays en Europe et que les données scientifiques sur l’efficacité du dépistage sont pourtant solides. Des études internationales, comme l’étude National Lung Screening Trial (NLST), publiée dès 2011, ont montré qu’un dépistage précoce par scanner thoracique à faible dose chez les personnes à risque permettait d’éviter plus de 20 % décès ! Mais la Haute Autorité de santé (HAS) a rendu quant à elle en 2016 un avis défavorable à la mise en place d’un programme national de dépistage estimant que les conditions de qualité, d’efficacité et de sécurité n’étaient pas réunies. Depuis, une étude européenne publiée en 2020 a, elle aussi, démontré une réduction de 24 % de la mortalité en cas de diagnostic précoce. Un programme d’implémentation est en cours et devrait voir le jour in fine...

En attendant, Gustave Roussy a pris les devants. Dans le cadre de notre plan stratégique 2030 nous avons mis en place le programme « Interception » dédié aux personnes à haut risque - fumeurs ou anciens fumeurs âgés de 50 à 74 ans. Ce parcours comprend un scanner thoracique à faible dose, une consultation de sevrage tabagique et des ateliers de prévention. Les participants repartent, le jour même, avec les résultats de leur examen et un plan de prévention personnalisé. L’objectif est d’identifier les personnes non malades mais à risque augmenté, et d’arriver à les suivre de manière plus performante pour un diagnostic précoce si la maladie se matérialise, mais aussi, à terme, pour mettre en œuvre des traitements capables d’éviter son apparition. Notre ambition est de découvrir l’équivalent du cholestérol pour le cancer : un marqueur identifiable, maîtrisable, qui nous permettrait d’agir avant même que la maladie ne se déclare.

Quels sont aujourd’hui les enjeux de financement pour un centre comme Gustave Roussy ?

Les avancées réalisées ces dernières années - qu’il s’agisse de nouveaux traitements, de la chirurgie robotique, des tests de diagnostic de précision ou des innovations en immunothérapie - sont rendues possibles par des connaissances biologiques de plus en plus fines et par des technologies de pointe. Tout cela a un coût.

À Gustave Roussy, notre budget annuel est d’environ 580 millions d’euros, dont 140 sont dédiés à la recherche. Cet investissement couvre le soutien aux talents, le développement de plateformes technologiques, mais aussi des projets immobiliers ambitieux, comme notre futur bâtiment dédié à la recherche en oncologie, qui représente à lui seul un investissement de 160 millions d’euros. Ce nouveau centre de recherche verra le jour en 2027.

Si la France soutient correctement la recherche à travers ses programmes publics, le financement des infrastructures reste largement insuffisant. Certaines innovations, comme la chirurgie assistée par robot ou les tests sanguins complexes, ne sont pas encore complètement prises en charge par le système de soins. C’est pourquoi, nous devons diversifier et renforcer nos sources de financement.

Quel est la place de la philanthropie dans vos ressources ?

Sans le soutien de la philanthropie, de nombreux projets ne verraient tout simplement pas le jour. Les financements publics couvrent une partie des besoins en matière de programmes de recherche, mais les moyens manquent cruellement pour les infrastructures, les équipements, et le recrutement de talents. Aujourd’hui, Gustave Roussy reçoit environ 40 millions d’euros par an grâce à la générosité de mécènes, d’entreprises et de donateurs particuliers. Ce chiffre peut sembler élevé, mais il reste très en deçà des montants collectés par les centres de recherche américains qui peuvent recevoir entre 600 millions et 1 milliard d’euros chaque année ! Il y a un écart considérable à combler.

Comment s’organise concrètement la coordination entre un centre expert comme Gustave Roussy et les médecins libéraux, généralistes ou experts ?

La prise en charge des patients commence avec les médecins généralistes, pierre angulaire de notre système de santé qui jouent un rôle clé dans la détection de la maladie, le suivi des patients ou l’identification d’effets indésirables des traitements chez certains malades. La coordination avec la médecine de ville est donc évidemment essentielle et nous avançons avec l’ambition très claire de pouvoir concentrer des plateaux techniques de très haut niveau dans des centres de référence comme le nôtre, tout en permettant un suivi personnalisé au plus près du domicile des patients. Cela suppose une coordination étroite avec les professionnels libéraux, une médecine décloisonnée, qui nous permette de nous appuyer davantage sur les généralistes et les spécialistes de ville, pour un suivi de proximité plus fluide, plus humain et plus réactif. 

Que vous apporte l’IA déjà aujourd’hui et quelles sont les perspectives à court terme ?

L’IA est déjà embarquée dans l’ensemble de nos activités, l’imagerie médicale, la radiothérapie, les techniques de médecine de précision, etc. Elle constitue une aide précieuse au diagnostic, notamment pour détecter des caractéristiques que l’œil humain ne peut pas voir... Elle nous permet également d’anticiper l’évolution de certaines tumeurs et de personnaliser les traitements en fonction des caractéristiques propres à chaque patient. En matière d’imagerie, l’un des objectifs est de pouvoir utiliser l’IA pour prédire le risque. Par exemple, sur une mammographie a priori normale, l’IA pourrait stratifier le niveau de risque, nous permettant ainsi de concentrer les ressources sur les patientes les plus susceptibles de développer un cancer du sein.

En parallèle, nous comptons sur l’IA pour nous aider à optimiser le parcours de soin, le rendre plus fluide et renforcer notre capacité à proposer des solutions personnalisées, afin d’améliorer la qualité de vie des patients pendant et après les traitements. L’objectif est que, demain, chaque patient puisse bénéficier d’un suivi connecté qui permettra de monitorer à distance l’évolution de son état, sans attendre les rendez-vous de contrôle. Il s’agit de gagner en précision dans le suivi, tout en collectant des données qui vont permettre de prédire très en amont les risques d’effets secondaires, de séquelles, de dégradation, et donc d’améliorer la prise en charge.

Le 4 février dernier, vous avez remis pour la première fois le Prix Gustave Roussy. Quelle découverte majeure a-t-elle été récompensée ?

Nous avons créé le Prix Gustave Roussy en 2024 avec la volonté de mettre en lumière les découvertes scientifiques qui transforment concrètement la prise en charge des malades vivant avec le cancer, qu’il s’agisse de traitement, de compréhension biologique ou de prévention. C’est une manière de redonner à la science la place centrale qu’elle doit avoir dans les progrès médicaux.

Ce prix est attribué par un jury international indépendant, composé d’experts reconnus en oncologie. Il ne s’agit pas de récompenser une publication isolée, mais bien un corpus de travaux significatifs, dont l’impact est réel sur la pratique médicale.
Pour cette première édition, le prix a été décerné au professeur Charles Swanton, clinicien et chercheur britannique au Francis Crick Institute de Londres. Ses travaux pionniers sur l’évolution tumorale et l’instabilité génomique ont profondément influencé la médecine de précision en cancérologie. Il a notamment contribué à une meilleure compréhension des mécanismes de l’agressivité de certains cancers, comme le cancer du poumon, et à la mise au point de stratégies de détection précoce basées sur le profil moléculaire des tumeurs.

Peut-on espérer vaincre le cancer dans un avenir proche et à quelles conditions ?

Il faut d’abord rappeler qu’environ 40 % des cancers sont évitables. Tabac, alcool, sédentarité, surpoids : ce sont autant de facteurs de risque sur lesquels nous pouvons tous agir. La prévention commence très tôt, par l’éducation à la santé, dès l’école. C’est un levier majeur sur lequel nous devons encore progresser. Ensuite, comme évoqué précédemment, il est impératif de mettre en place en France des campagnes de dépistage précoce de la maladie.

Notre ambition est claire : atteindre 80 % de taux de guérison d’ici à l’horizon 2040. Pour y parvenir, il est essentiel de continuer à investir dans la recherche et de soutenir l’innovation thérapeutique. Nous devons également privilégier une recherche française forte et indépendante pour ne pas dépendre exclusivement demain de médicaments chinois ou américains. Cela nécessite aussi d’attirer et de former les meilleurs talents, ce qui implique un effort d’investissement à la fois public et privé. La philanthropie et le développement de ressources complémentaires auront un rôle de plus en plus structurant à jouer dans cette dynamique.

Soutenir Gustave Roussy mois après mois
C’est faire reculer le cancer jour après jour !

onlib
Inscrivez-vous à notre newsletter
dédiée à toutes les professions libérales
Je m'abonne