Medtech : où en est la révolution de la médecine du quotidien ?
En quelques années, la medtech a fait entrer la médecine dans une nouvelle ère, transformant à la fois la pratique médicale et le quotidien des patients. Les outils évoluent à un rythme inédit, redéfinissant le diagnostic, le suivi des patients et la relation soignant–patient. Entretien avec Fabien Guez, cardiologue libéral et animateur de Check-Up Santé sur BFM Business, sur les dernières innovations et l’impact concret des nouvelles technologies sur la médecine du quotidien.
En 2022, vous nous disiez que « le médecin a le devoir de s’adapter aux évolutions technologiques ». Trois ans plus tard, où en est-on ?
Nous sommes clairement dans une période de transition forte. La santé fait partie des secteurs qui innovent le plus vite et bénéficie désormais de nombreux outils toujours plus performants, capables de poser un diagnostic, de suggérer un parcours de soins, ou encore d’analyser automatiquement des images médicales de première intention. En dix ans, la médecine a progressé de façon à la fois passionnante et vertigineuse. L’IA est devenue incontournable et deviendra encore plus présente dans les années qui viennent. Je le vois comme une formidable opportunité pour réaffirmer le rôle central du médecin : apporter du discernement, de l’expertise et de l’humanité dans un environnement de plus en plus technologique.
De quelle façon la relation patient-médecin est-elle aujourd’hui impactée par l’essor de l’IA et des outils numériques ?
Il n’est plus rare aujourd’hui que le patient arrive en consultation muni d’un diagnostic ChatGPT, d’une interprétation automatisée de ses analyses biologiques, ou encore d’une liste de pathologies probables générée par une application de santé. Certains viennent même avec des courbes de sommeil, des données d’objets connectés qui brouillent parfois la compréhension clinique. Le patient est sans aucun doute mieux informé, mais pas mieux « formé ». En revanche cela oblige le médecin à être encore plus compétent ! Plus que jamais il doit être solide sur ses connaissances et capable de remettre en perspective ce que le patient pense avoir compris.
La bonne nouvelle, c’est que la formation médicale continue s’est renforcée et qu’il existe aujourd’hui une offre très riche pour actualiser ses compétences. Parallèlement, le médecin est de plus en plus assisté par des outils technologiques : logiciels d’aide à la prescription qui alertent sur les doses et les interactions médicamenteuses, applications comme PulseLife qui donne accès à des publications validées par les sociétés savantes, bases de connaissances mises à jour en temps réel, etc.
Quels sont les progrès technologiques récents les plus marquants selon vous ?
Je dirais qu’avec l’essor des objets et dispositifs connectés, nous sommes clairement entrés dans une nouvelle ère : celle d’un suivi du patient en dehors de la consultation. Les montres connectées mesurent désormais la fréquence cardiaque, la saturation, l’activité, certaines proposent la mesure de la tension. Les wearables, ces tee-shirts intelligents capables de capter la température, le rythme cardiaque, voire certains paramètres métaboliques, deviennent de véritables outils médicaux. C’est un changement majeur. En cas d’anomalie, le médecin est alerté en temps réel avec des données objectives et peut intervenir plus vite, avant que la situation ne se dégrade.
Par ailleurs, des dispositifs très innovants arrivent sur le marché comme des boîtiers capables d’écouter, mais surtout d’analyser des bruits à distance dans une chambres d’hôpital, comme une toux, une chute, une suffocation, afin d’alerter immédiatement les équipes soignantes. C’est une couche de vigilance supplémentaire, en continu, qui sécurise les patients et améliorer la réactivité du personnel soignant.
A quel point la médecine du quotidien est-elle impactée par ces nouvelles technologies ?
Les changements sont forts. On l’a vu, très concrètement, avec l’essor de la téléconsultation, qui a transformé l’accès aux soins, notamment dans les zones sous-dotées. La télésurveillance est venue compléter ce mouvement, tout comme l’arrivée des capteurs intelligents, aussi bien dans les environnements de soins qu’à domicile. C’est une révolution pour des patients atteints de pathologies cardiaques ou de maladies chroniques. Dans les soins à domicile, ces outils vont, à terme, rendre possible un suivi continu sans déplacement et donc ouvrir la voie à un maintien à domicile beaucoup plus sûr, par exemple pour les personnes âgées, en renforçant leur autonomie.
La télé-expertise s’est largement déployée. Change-t-elle la manière dont les libéraux interagissent avec l’hôpital ?
Oui, très clairement. Pendant longtemps, il existait un véritable fossé entre les praticiens à l’hôpital et les professionnels de santé libéraux, chacun travaillant de son côté, avec des échanges limités. La télé-expertise a profondément transformé ces relations, permettant une collaboration plus fluide. Par exemple, le médecin généraliste qui oriente un patient vers l’hôpital peut désormais participer aux décisions, assister à un staff à distance, ou échanger directement avec un spécialiste sur un dossier précis. Même dynamique sur le terrain : une infirmière libérale peut, par exemple, se rendre chez un patient, prendre une photo d’une lésion cutanée et l’envoyer en télé-expertise à un dermatologue, qui fournit un avis en quelques heures. Cela permet de rééquilibrer l’accès aux soins, en particulier pour des spécialités très sollicitées.
Sur le plan de la protection des données, les professionnels libéraux sont-ils aujourd’hui suffisamment sensibilisés et formés ?
Évidemment non ! Encore aujourd’hui, pour aller chercher sur le web nos résultats d’analyse médicale, il suffit, la plupart du temps, de taper les trois premières lettres de notre nom de famille et notre date de naissance ! La cybersécurité reste encore perçue comme un sujet technique, secondaire. Dans les cabinets médicaux les ordinateurs sont souvent mal sécurisés, les mots de passe faibles, les systèmes non mis à jour… Un terrain de jeu idéal pour les cybercriminels. Les données de santé circulent sur le Dark Web et alimentent des bases revendues à prix d'or. La véritable rupture arrivera le jour où le patient deviendra propriétaire de ses données et pourra décider lui-même de les partager pour la recherche, pour la science ou pour son propre suivi. Pour que ce modèle fonctionne, il faudra garantir un niveau de sécurité exceptionnel tout au long de la chaîne.
Sur le plan de la recherche médicale, quel rôle l’IA joue-t-elle désormais dans la conception et l’évaluation des nouveaux traitements ?
L’arrivée de l’IA change profondément la donne en matière de recherche médicale, notamment dans le développement des nouveaux médicaments. Concrètement, l’IA permet de concevoir et de lancer bien plus d’essais cliniques qu’auparavant, et donc de sortir des médicaments plus rapidement. C’est particulièrement important en Europe où il y a un vrai problème de recrutement pour les essais cliniques. L’intelligence artificielle permet désormais d’identifier beaucoup plus facilement les patients potentiellement éligibles grâce à des enquêtes virtuelles et au croisement intelligent de données. À court terme, cela va permettre de cibler directement les bons profils de patients, d’optimiser la constitution des groupes et d’accélérer les analyses épidémiologiques qui accompagnent ces études.
Quel serait votre conseil aux jeunes médecins libéraux qui s’installent ?
Formez-vous ! Vite et bien ! Le virage IA pour la profession est déjà spectaculaire mais il ne fait que commencer. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes médecins ne sont pas suffisamment préparés, ni à l’ampleur des changements déjà amorcés, ni au potentiel immense de ces outils. L’IA est une vraie révolution. Dans beaucoup de domaine, le médecin a encore la main mais dans 10 ou 15 ans qu’en sera-t-il ? Le médecin doit apprendre le langage de l’IA, être capable de faire le tri entre le florilège d’outils digitaux disponibles sur le marché. Il existe désormais plusieurs DU d’intelligence artificielle en santé qui permettent d’acquérir les compétences nécessaires pour évaluer de façon critique les solutions d’intelligence artificielle à sa disposition. Le discernement devient une compétence clinique à part entière. Mais je suis confiant : nous allons prendre le train en marche et il n’est jamais trop tard pour monter à bord.