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L’IA et les professionnels libéraux : en 1 an, quels changements ?

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L’IA et les professionnels libéraux : en 1 an, quels changements ?
L’IA et les professionnels libéraux : en 1 an, quels changements ?

Qu’est-ce qui a changé pour les professions libérales dans leur utilisation de l’IA au cours de l’année écoulée ? Nous avons d’abord posé la question… à l’intelligence artificielle elle-même. Sa réponse : « Une intégration plus large, plus assumée et des usages qui gagnent en maturité dans les professions libérales ». Mais encore ?... Qu’en est-il vraiment sur le terrain, profession par profession ? Car si l’IA est aujourd’hui au centre de toutes les attentions, sa mise en œuvre reste encore très variable selon les métiers, les outils utilisés, la culture métier ou encore l’appétence et l’aisance technologique de chacun.

Alors, en 1 an, quels changements ? Quels usages, quels freins, quels bénéfices concrets ont émergé ces douze derniers mois chez les professionnels libéraux ?

Merci aux médecins, pharmaciens, biologistes, vétérinaires, avocats, notaires, commissaires de justice, administrateurs judiciaires et experts-comptables qui ont pris le temps de répondre à cette question et accepté de partager leur expérience pour les lecteurs d’OnLib’Infos.

« L'intelligence artificielle est une technologie qui permet aux machines d'imiter certains comportements humains, comme apprendre à partir de données, reconnaître des motifs, prendre des décisions, comprendre le langage naturel et résoudre des problèmes. »
Le Chat de Mistral AI

L’IA prend du galon chez les professionnels du droit

Predictis, Haiku, Perplexity, ChatGPT, Mistral, GenIA-L, Google AI Studio, Copilot, Lexis IA, Doctrine, Lefebvre-Dalloz, Gamma AI, NoteBook LM, Notae, Gemini, Grok 4… Les outils cités (dans le désordre) sont nombreux et illustrent l’ampleur de l’offre désormais disponible et bien ancrée dans le quotidien des professionnels du droit. Des outils qui, en un an, se sont considérablement affinés et sont de plus en plus sollicités sur des tâches techniques et intellectuelles.

L’IA, devenu un as des recherches...

Plus de doutes... En matière de recherches juridiques, l’IA est aujourd’hui un allié précieux du quotidien pour les professionnels, contribuant directement à une meilleure productivité. Le gain de temps est réel, comme l’indique Orane Minjollet, avocate associée du cabinet Librato : « Je passe moins de temps à faire des recherches, notamment grâce aux outils développés par les bases documentaires des éditeurs juridiques. Lorsque qu’ils sont performants, le gain de temps est réel, à condition bien sûr de garder la main et de toujours vérifier les textes et jurisprudences fournis ». Luc-Marie Augagneur, avocat associé chez Cornet Vincent Ségurel, note « un phénomène d’accélération notamment lié au meilleur niveau de maturité des LLM -Large Language Model ou grand modèle de langage en français-, devenus plus performants et plus fiables, mais aussi du fine tuning des éditeurs ». Même constat pour Caroline Casalonga, avocate et managing partner du cabinet Casalonga pour qui « les recherches de jurisprudence ont véritablement évolué en un an, ainsi que la qualité des traductions et des rapports de réunion ».

Mais attention, savoir prompter n’est pas forcément inné... Or, maîtriser l’IA, c’est, pour commencer, apprendre à bien lui parler. Le « prompting », cette manière de formuler les instructions données à une intelligence artificielle, devient une compétence à part entière, au croisement de la technique et de l’intelligence métier. Pour Alexia Arno, diplômée notaire, fondatrice de la Legaltech Clésame, le bon prompt est celui qui insuffle de l’expertise humaine à l’outil : « Bien prompter est essentiel. C’est en apportant notre raisonnement juridique à l’intelligence artificielle qu’elle peut, en retour, suggérer d’autres pistes ou solutions insoupçonnées ». Dans la pratique, l’usage reste parfois complexe et perfectible. « On gagne du temps mais on en perd aussi beaucoup en vérification et il est difficile de trouver le bon prompt et d’éprouver sa fiabilité », selon Stephan Boghen, commissaire de justice. Certains professionnels ont bien compris l’importance de structurer leur montée en compétence : « Nous développons une sorte d’IA Academy pour faire progresser les techniques de prompting et la définition des cas d’usage les plus adaptés » explique Luc-Marie Augagneur.

L’IA de plus en plus performante sur des tâches « intellectuelles »

Répondre à des questions, traduire, produire des comptes-rendus, synthétiser et analyser des documents, rédiger... L’intelligence artificielle progresse vite et plutôt très bien, si l’on en croit les retours des praticiens qui la sollicitent de plus en plus pour des tâches plus complexes, nécessitant une part de réflexion. Alexia Arno constate en effet que « l’IA est de plus en plus utilisée dans la profession pour rédiger des traductions, des consultations patrimoniales ou des comptes rendus de réunion ». Chez les commissaires de justice également, les usages concrets se multiplient également comme l’explique Stéphan Boghen : « Rédaction de mails, lecture critique de données, aide à la structuration de documents pour les appels d’offres ou encore, analyse d’images pour la rédaction de constats ». Comme l’explique Alexandre Panossian, directeur associé du cabinet Bontemps, spécialisé dans la transmission des études de notaires et d’avocat, indique queles bénéfices de l’IA sont multiples : « Gain de temps, augmentation de la valeur ajoutée des analyses, personnalisation accrue et satisfaction client renforcée. Le rôle du professionnel a évolué, se centrant sur le conseil, l'interprétation des données et l'innovation, moins sur l'exécution technique ». C’est le cas pour Audrey Chemouli, avocate chez Chemouli Professions Libérales, qui estime avoir « considérablement gagné en efficacité », notamment sur les tâches chronophages comme la reformulation, la rédaction de mails, la création de supports (convention d’honoraires, synthèse de rendez-vous, note clients) ou la synthèse d’informations. L’IA est aussi un atout pour produire plus vite comme en témoigne Orane Minjollet, avocate associée chez Librato Avocats : « Cela m'aide également à rédiger des articles et des posts pour la communication du cabinet ». Dans le quotidien des administrateurs judiciaires, l’IA se révèle également un allié précieux : « Nous produisons un nombre considérable de rapports pour les juridictions ainsi que des notes de synthèse destinées aux parties dans le cadre de conciliations ou de mandats ad hoc », explique Isabelle Didier, avocate et administratrice judiciaire, associée d’O3 Partners. « La rédaction des comptes rendus et l'élaboration des rapports sont largement facilitées par les outils d’aide à la prise de notes, de structuration et de retraitement des informations clés collectées. » Une efficacité confirmée par Philippe Touzet, avocat fondateur de Touzet associés : « Notre outil nous permet aujourd’hui de générer directement une chronologie intégrant toutes les pièces d’un dossier, ainsi qu’une synthèse des faits prête à être utilisée dans nos projets d’écritures judiciaires ».

L’IA : un « assistant » jamais débordé ?...

Les requêtes sont mieux comprises, les réponses plus pertinentes et les bénéfices sur l’organisation du travail unanimement salués. « D’une manière générale, l’IA nous a permis en un an d’améliorer notre productivité et notre relation client tout en favorisant un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle » estime Ludovic Blanc, avocat et fondateur de Obbo Avocats. Même constat pour Audrey Chemouli, qui salue « un gain de temps significatif, une charge mentale réduite, une meilleure productivité et une plus grande liberté d’initiative au quotidien, avec plus de temps et d’énergie pour le traitement de fond des dossiers ». Pour Matthieu Hassen, notaire chez Bonnard Lawson « l’utilisation de l’intelligence artificielle permet de se recentrer sur l’essentiel : le conseil stratégique et la relation humaine. Moins de temps perdu et une vraie respiration dans un métier souvent saturé par l’écrit. » L’impact est également très concret pour Claire Demas, commissaire de justice associé chez Soliti : « Grâce à l’IA, le flux de nos courriers est désormais automatisé, ce qui a permis de massifier les envois, de rationaliser les procédures et de réaliser une économie équivalente à un poste à temps plein. » Isabelle Didier constate elle aussi une transformation profonde en un an : « Présente dans toutes les réunions après accord des participants, l’IA intervient comme une assistante jamais débordée et sans contrainte d’horaires ». Alexandre Panossian estime lui aussi que « l'intégration de l'IA a profondément optimisé notre quotidien, accélérant la production et la prise de décision ». Affranchi des tâches administratives répétitives et de la prise de notes, le professionnel peut accorder toujours un peu plus de place au conseil stratégique et la relation humaine.

...ou déjà un « super collaborateur » ?

Nul doute qu’en un an, l’IA a pris du galon... Car loin de se limiter aux tâches répétitives et chronophages, elle commence à épauler les professionnels sur des missions plus intellectuelles : analyser, rédiger, structurer. « Réfléchir sur le modèle économique d’une entreprise en retournement, c’est pouvoir disposer rapidement d’analyses pertinentes sur les tendances du marché explique Isabelle Didier. « L’IA permet de lancer des pistes et de les tester pour murir une réflexion ». Ludovic Blanc estime qu’en un an « les performances de l’IA et la diversité des offres ont été décuplées. Nous observons une forte amélioration dans nos process internes, mais aussi dans la mise en forme de nos écrits ». Alfred Lortat-Jacob, avocat associé chez Cornet Vincent Ségurel explique comment il mobilise désormais l’IA au quotidien sur plusieurs plans : « Je l’utilise, par exemple, pour vérifier un régime juridique particulier. J’en connais les conditions et la mise en œuvre, mais l’IA m’aide à rafraîchir ma mémoire et à m’assurer que tous les critères sont bien réunis ». Alfred Lortat-Jacob s’en sert également pour gagner en efficacité dans la rédaction contractuelle : « Je lui demande de générer un projet de contrat avec les clauses standard, ce qui me laisse plus de temps pour travailler sur les clauses spécifiques. » Enfin, l’IA devient aussi un appui dans les phases de réflexion : « Je l’interroge sur des sujets de fond ou de prospection pour obtenir une première base et pousser ensuite plus loin ma pensée. »

Matthieu Hassen décrit lui aussi cette évolution vers un usage plus intellectuel de l’IA : « L’IA m’a permis d’alléger une partie de sa charge rédactionnelle et de gagner en clarté dans mes analyses juridiques et fiscales. Je l’utilise pour poser rapidement un raisonnement, reformuler des clauses ou encore préparer des synthèses avant un rendez-vous client ». Pour Philippe Touzet, « les nouvelles fonctionnalités de l’IA, vont nous permettre d'atteindre « une nouvelle dimension » dans la rédaction de tout type de document juridique : « Nous avons entre les mains un véritable outil de production capable de rédiger une consultation complexe et très complète en quelques secondes, avec toutes les sources internes et externes qui ont été utilisés pour la rédiger ce qui permet de pouvoir facilement vérifier la qualité et la précision de la rédaction ». Alexia Arno voit en l’IA un « super collaborateur à qui l’on peut tout dire, un allié de confiance pour formuler une réponse diplomatique à un client difficile ou construire une stratégie de médiation. Une aide précieuse, à la fois technique... et humaine. »

Ne pas déléguer sa pensée

Si l’intelligence artificielle est aujourd’hui devenue incontournable, sa performance croissante impose au professionnel de réfléchir à son positionnement par rapport aux attentes des clients. « Les bénéfices immédiats de l’IA ne doivent pas être privilégiés sur notre capacité de réflexion. On ne doit pas déléguer notre pensée, au risque de perdre en profondeur lorsque nous interagissons avec nos clients ou nos partenaires et d’affaiblir notre capacité d’appréhender des situations toujours complexes et nécessitant une analyse transversale » explique Alexandre Marion, avocat associé chez La Tour International. Une analyse partagée Caroline Casalonga : « Nos outils de gestion de droits de propriété intellectuelle, de surveillance du marché et de recherche d'antériorité évoluent avec de l'IA, qui nous aide aussi pour la rédaction d'articles mais ne remplace pas la réflexion ni la rédaction de l'avocat ». Sur la même ligne, Isabelle Didier considère que l’intelligence artificielle n’a « pas vocation à remplacer l’expertise des sachants et leur capacité à décrypter des modèles économiques parfois complexes ».

Ceintures et bretelles

Tester les outils, vérifier les réponses, analyser les sources... Le recours à l’IA requiert rigueur et vigilance dès le départ, comme l’indique Luc-Marie Augagneur : « Nous utilisons des outils qui sont installés sur une plateforme dédiée incluant notre propre base de données mais son usage reste pour l’instant réservé à des équipes d’évaluation de la performance ». Alexandre Marion explique quant à lui utiliser l’IA pour défier son intuition « mais toujours en veillant à analyser les sources justifiant la position prise par l’IA ». « Dans tous les cas, ma confiance dans les réponses est limitée » renchérit Alfred Lortat-Jacob, « je vérifie par d'autres moyens les réponses, en particulier pour les régimes juridiques spécifiques ». Même combat pour Laura Mancini, avocate chez Mancini Avocats : « Je ressens le besoin de tout vérifier par des recherches classiques pour m’assurer de la fiabilité des sources ». « Car l’IA peut produire des contre-sens, supprimer des informations importantes ou reproduire un échange de façon trop optimiste et donc erronée » précise Isabelle Didier, « ce qui exige vérification systématique de tous les contenus générés. » Reste aussi la gestion de la confidentialité des informations. « En aucun cas les outils utilisés ne doivent pas être le réceptacle d’informations soumises au secret professionnel » affirme Alexandre Marion. Ne pas partager d’informations nominatives, informer les interlocuteurs du traitement de leurs données par l'IA, anonymiser les données sensibles... Les praticiens sont vigilants et s’attachent à mettent en place des bonnes pratiques internes sensibiliser nos collaborateurs aux enjeux et risques de l'IA.

L’IA, véritable « assistant du quotidien » pour les experts-comptables

Une utilisation plus intense...

Chez les experts-comptables aussi, l’IA semble avoir passé un cap, tant en termes de déploiement des outils que sur leur utilisation pour des tâches plus variées et à plus forte valeur ajoutée. « En un an, l’IA est passée d’un sujet d’observation à un véritable assistant du quotidien » affirme Mathieu Stenger, directeur général chez COGEP, qui précise : « Nous avons structuré son adoption : déploiement de Copilot auprès de tous nos responsables et création d’un parcours interne de formation en trois webinaires pour en maîtriser les usages, notamment l’art du prompt. Concrètement, Copilot nous aide à synthétiser, rédiger, analyser et résumer, que ce soient des données financières ou des réunions Teams. Nous avons aussi développé un agent IA dédié à l’assistance administrative dans nos processus de recrutement ». « L’utilisation est incontestablement plus intense », confirme Maud Bodin Veraldi, expert-comptable et commissaire aux comptes. « Cela va des analyses sectorielles pour préparer des rendez-vous avec de nouveaux clients, à la recherche de concurrents ou de sociétés comparables dans le cadre de missions d’évaluation ».

Et sur des tâches plus techniques...

Pour Jauffrey d'Ortoli expert-comptable et président du cabinet Neotec, « l'évolution de l'IA au cours de cette année a été impressionnante. Désormais présente dans quasi tous les logiciels et/ou bases documentaires que nous utilisons au sein du cabinet, elle nous permet de gagner du temps sur des tâches plus techniques comme la recherche de textes dans le cadre de problématiques juridiques et fiscales, l'analyse de Jurisprudence ou encore la synthèse de documents techniques. » Constat partagé par Maud Bodin Veraldi qui décrit le soutien concret apporté par l’intelligence artificielle : « L’IA m’aide aussi à sécuriser des notes techniques, en identifiant des aspects que je n’aurais pas repérés dans mon projet de réponse, à confirmer la conformité d’une documentation juridique en complément de mon analyse initiale ». Même constat pour Mathieu Stenger, qui constate « un gain de temps sur les tâches rédactionnelles, une qualité accrue de nos livrables et une montée en compétences généralisée. »

Se former à la mise en place d'une stratégie IA et Data

Sup’Expertise, l’école de profession francilienne d'expertise comptable et d'audit, a lancé en 2024 le premier parcours de formation certifiant de mise en place d'une stratégie IA et Data pour les experts-comptables et les commissaires aux comptes. Proposée en partenariat avec l’école d’IA Aivancity, cette formation « témoigne de la prise de conscience par la profession comptable de l'accélération de sa mutation et de la nécessité de développer au plus vite une stratégie IA et Data en cabinet afin de rester dans le jeu » selon Ugo Lopez, directeur général de Sup’Expertise. Face à la demande, deux nouveaux parcours ont été ouverts en 2025.

Vétérinaires : prise de conscience et intégration progressive de l’IA sur le terrain

Un assistant organisationnel efficace

Pour les vétérinaires, l’année écoulée a marqué « une véritable prise de conscience de l’aspect disruptif grandissant de l’intelligence artificielle, qui a entraîné une vague de congrès dédiés à l’utilisation de l’IA et un besoin de formation associé », observe Chantal Legrand, vétérinaire et maître de conférences associée en management, marketing et gestion à l’École Vétérinaire d’Alfort. Parmi les usages déjà bien établis, on retrouve notamment la transcription automatique des consultations et la génération de comptes rendus. « Structurer, reformuler ou synthétiser rapidement des documents complexes, je gagne un temps précieux sans sacrifier la précision », témoigne de son côté David Quint, président du SNVEL.

Un soutien médical encore discret

En termes de solutions médicales, l’interprétation de radiographies et les aides au diagnostic sont les solutions les plus couramment usitées mais « l’implémentation de l’IA sur le terrain reste encore modeste » souligne Chantal Legrand et « concerne surtout certains “ early adopters ” attirés par les nouvelles technologies », soulignant que « le manque de praticiens et la charge de travail élevée ne créent pas un contexte favorable à la gestion du changement ». Pour David Quint, l’atout principal de l’IA réside dans la possibilité « de s’appuyer sur ces outils pour augmenter l’efficacité rédactionnelle et décisionnelle, tout en gardant un regard critique ». Et de conclure : « Le bénéfice est clair : plus de temps pour l’essentiel, avec une meilleure traçabilité. »

IA et professions de santé : des attentes qui restent fortes

Encore des obstacles à l’implémentation des outils 

L'adoption de l'intelligence artificielle dans le secteur de la santé progresse, mais de façon très contrastée selon les professions et leur environnement technologique. Valérian Ponsinet, pharmacien et président de la commission Convention et Systèmes d’information de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF) affirme que « les usages commencent à peine à s’implémenter dans les outils informatiques en pharmacie et de façon très timide ». La profession est tributaire des éditeurs de logiciels de gestion d’officine (LGO), actuellement concentrés sur la mise en conformité avec le Ségur du numérique en santé. « Cette période actuelle de déploiement de nouvelles fonctionnalités rend les développements compliqués et explique les usages encore limités, principalement dans l’accompagnement de la dispensation des ordonnances - analyse de l’ordonnance, pré-remplissage des infos, en amont, ou contrôles des ordonnances en aval », précise Valérian Ponsinet.

Pour Franck Devulder, gastro-entérologue et président de la Confédération des Syndicats Médicaux Français (CSMF), « les outils de prise de rendez-vous étaient déjà en place et d'autres, comme la transcription automatique, sont encore jugés trop imparfaits. Nous sommes passés à l’e-prescription donnant plus de sécurité à nos prescriptions. Nous attendons le déploiement d'outils d’aide à la décision. Sur ce plan, les choses n’ont pas fondamentalement changé en un an. » Pascal Artru, oncologue digestif, pointe quant à lui des « obstacles financiers et organisationnels », notamment liés à « l’hétérogénéité des systèmes informatiques médicaux, qui demeurent un obstacle considérable. » Du côté de l'aide au médecin, il souligne que « l'écoute intelligente de la consultation pour proposer un compte-rendu de consultation est déjà disponible, avec demain la possibilité d'une aide au choix thérapeutique ». En biologie, l'IA s'invite aussi dans la gestion de la production, forçant les biologistes à « revoir leur politique sur le numérique afin de cadrer les usages pour éviter des fuites de données sensibles, médicales mais aussi industrielles » explique Bruno Gauthier, biologiste et président de la Société Française d'Informatique de Laboratoire (SFIL).

Une aide concrète au diagnostic, sans changements majeurs en 1 an

Dans plusieurs spécialités, l’intelligence artificielle est déjà bien intégrée comme outil d'aide au diagnostic, mais « les outils les plus courants évoluent peu depuis cinq ans » explique Jean-Philippe Masson, radiologue et président de la Fédération Nationale des Médecins Radiologues (FNMR) et « tournent autour de la détection des fractures, des microcalcifications en sénologie ou de la recherche de nodules pulmonaires en scanner thoracique. D’autres sont plus ciblés sur des pathologies hépatiques ou cardiaque ». Même constat chez Franck Devulder, qui note peu de changements récents : « Nous avions déjà pris le virage de l’IA dans notre pratique. Au bloc d’endoscopie, nous utilisons un logiciel de reconnaissance d’image qui améliore le taux de détection des polypes, mais rien de fondamentalement nouveau sur la dernière année. L’utilisation des logiciels ne nous permet pas de faire moins mais différemment : certains nous affranchissent de mesures fastidieuses, d’autres attirent notre attention sur des images suspectes ce qui nous fait gagner du temps médecin pour mieux prendre en charge nos patients ». Pour Pascal Artru, « l'analyse d'image continue à progresser sur l'examen anatomopathologique, avec le développement de scoring prédictifs de réponse à l'immunothérapie. Leur validation face à la lecture optique traditionnelle par le médecin est en cours ». Bruno Gauthier note quant à lui une « progression exponentielle » sur les usages de l'IA ces douze derniers mois, en particulier dans le développement d'une médecine plus personnalisée, « avec des approches intégrant l’analyse du microbiome, les profils génétiques des tumeurs pour mieux évaluer l'efficacité d'un traitement ».

Quelles attentes exprimées par les praticiens ?

Face aux potentialités de l'IA, les professionnels expriment des attentes élevées mais aussi de nombreuses préoccupations. Pour les pharmaciens, Valérian Ponsinet espère « une meilleure interopérabilité avec les systèmes de l’Assurance maladie pour permettre à l’IA de détecter des ordonnances frauduleuses, vérifier le respect des quotas de certains dispositifs médicaux, permettre de la régularité dans les dispensations des médicaments chers, etc. Tous ces espoirs... nécessiteront de la part de la CNAM une plus grande ouverture vers nos LGO. »

Pascal Artru estime quant à lui que le développement des solutions d’IA en cancérologie digestive « se heurte encore à des problématiques financières, les aides diagnostiques en endoscopie digestive étant payantes et souvent non financées par les établissements hospitaliers ».

En ce qui concerne l’aide à la décision médicale, Franck Devulder attend « avec impatience l’intégration de l’IA rappelant le bon usage et les recommandations. Ce sera un élément important dans l’action que nous menons pour valoriser la qualité et la pertinence des pratiques médicales ».

Au cœur du sujet de l’IA en médecine se pose aussi la question des droits des patients et de la responsabilité du praticien. « Quel que soit le logiciel, le radiologue a la responsabilité de la rédaction du compte rendu qu’il signe ce qui engage sa totale responsabilité » tient à souligner Jean-Philippe Masson. Bruno Gauthier insiste sur les implications réglementaires, notamment avec l'adoption de l'IA Act : « Transparence, sécurité, équité » sont devenus des priorités. Il souligne l’urgence de clarifier « les responsabilités en cas d’erreur de l’IA, avec un accent sur "la définition des rôles, l’assurance et la garantie humaine". »

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