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Julie Couturier : “Il faut un certain courage pour être indépendant”

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Julie Couturier : “Il faut un certain courage pour être indépendant”
Julie Couturier : “Il faut un certain courage pour être indépendant”

Récemment élue nouvelle bâtonnière du barreau de Paris et invitée d'Onlib'Infos, Julie Couturier nous offre aujourd'hui son analyse sur les évolutions, les opportunités et les défis de sa profession, comme de l’exercice libéral en général, dans un contexte économique, sociétal et technologique en pleine mutation.

Le cadre d’exercice de la profession d’avocat a profondément évolué et continue d'évoluer vers un régime social inspiré du salariat. Selon vous, quelles sont encore les forces et les faiblesses de l’exercice libéral ?   

Je rencontre régulièrement des étudiants en droit qui craignent de se lancer dans la profession parce qu’elle s’exerce en libéral. Nous vivons dans une époque où la liberté fait peur et c’est vrai qu’il faut un certain courage pour être indépendant, pour évoluer sans un filet de sécurité comme l’assurance chômage par exemple. Ce que je leur réponds en général c’est « laissez tomber les fantasmes » ! Ces dernières années, la profession ne cesse d’évoluer vers toujours plus de solidarité. Je pense par exemple au congé paternité de quatre semaines dont peuvent bénéficier les avocats collaborateurs depuis 2014. Pour la majorité des salariés de notre pays ce droit n’est ouvert que depuis le mois de juillet 2021 ! Alors bien sûr, nous avons encore du chemin à parcourir pour que le collaborateur ne soit plus le partenaire faible de la relation contractuelle. La recherche du juste équilibre prend du temps, mais nous sommes déterminés à le trouver.

La nouvelle génération a des attentes plus marquées sur l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle. La profession d’avocat est-elle encore attractive ? Et comment mieux préparer les jeunes à l'entrepreneuriat ?   

L’an dernier, l'École de formation des barreaux a dû absorber un flot de candidats inédit. C'est dire si la profession reste attractive ! Si l’on devait brosser le portrait de l’avocat parisien en 2022, ce serait une femme, entre 30 et 40 ans, exerçant en individuel, spécialisée en droit civil. Pourtant, dans l’imaginaire collectif, l’avocat est toujours un homme en robe, c’est-à-dire un pénaliste ou un avocat d’affaires. Je souhaite transformer cette « identité naturelle » de l’avocat. C’est pour cela que l’égalité entre les hommes et les femmes est l’une des grandes priorités de mon mandat. Par ailleurs, je poursuis les efforts consentis par mes prédécesseurs en matière de formation continue. Chaque avocat parisien doit avoir les moyens de bénéficier d’outils modernes, capables de faciliter son installation et son exercice. La clé de la pérennité d’un cabinet passe aussi par l’acquisition de bons réflexes de gestion que ce soit en comptabilité ou en ressources humaines.

Face à des problématiques toujours plus communes (digitalisation, augmentation des coûts, etc.), le recours à l’interprofessionnalité (notamment Avocat/Notaire, Avocat/Expert-comptable, Avocat/Conseil en propriété industrielle) par la création d’une Société pluri-professionnelle d'exercice (SPE) constitue l’une des solutions. Est-ce pour vous le modèle d’avenir ?

Soyons clairs, « l’inter professionnalité » a toujours existé de manière informelle, nous avions l’habitude de collaborer bien avant l’apparition des SPE en 2015.  Reste que la loi nous permet désormais de structurer cette collaboration. C’est un territoire qui mérite d’être exploré, ne serait-ce que parce qu’il permet aux avocats de développer et fidéliser leur clientèle. Mais le développement de ce type de structure ne peut se passer de garde-fous en matière de déontologie, de gouvernance et de secret professionnel pour les avocats. Un certain nombre de membres du Conseil de l’Ordre ont justement participé à établir un guide des bonnes pratiques.

Alors que les élections présidentielles approchent, comment le Barreau de Paris s'investit-il dans la campagne ? Quels sont les grands enjeux pour la profession que vous souhaitez faire remonter ?

Ces derniers jours*, vous avez peut-être aperçu dans les rues de la capitale les candidats à l’élection présidentielle grimés en personnages de l’ancien régime. Cette campagne d’affichage est une initiative de l’Ordre des avocats de Paris. Nous avons souhaité les interpeller sur le thème de la Justice, considérant qu’elle est toujours le parent pauvre de la politique régalienne. La Justice n’est pas et ne doit jamais devenir un privilège. Ces dernières années, il y a eu des avancées. Je pense notamment à la hausse du budget de la Justice. Pourtant, en France, en 2022, 25 % des Français renoncent encore à faire appel à celle-ci pour des raisons financières. Nous demandons donc plus de moyens et plus d’idées. Par ailleurs, nous formulons dix propositions qui ont vocation à nourrir le débat public : de la protection des libertés publiques à la simplification de la procédure, en passant par davantage de mise en valeur de l’aide juridictionnelle. Et nous poursuivons le combat en faveur d’une exonération de la TVA sur les prestations juridiques.

Les premiers cabinets d’avocats viennent de faire leur entrée dans le Metaverse. Certaines technologies, encore émergentes, vont profondément transformer la pratique du droit dans les 10 ou 20 années à venir. Très simplement : comment voyez-vous l’avocat en 2040 ?

Dans vingt ans, comme il y a vingt ans, les avocats seront aux côtés des entrepreneurs, des innovateurs. La force de notre profession, c’est sa capacité à allier tradition et modernité : nous sommes une profession pluri-centenaire qui ne cesse d’inventer le monde de demain. Nous aurons des défis à relever dans les années à venir, à commencer par celui de l’intelligence artificielle, sans oublier comme vous le notez à juste titre celui de l’offre de conseil dans des mondes numériques alternatifs. Des avocats sont déjà sur le coup. Une nouvelle preuve de la singularité des structures d’exercice existantes et de la force de notre modèle libéral. Nous avons les moyens de continuer à être libres. 

*Interview réalisée début avril


 

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