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Infirmiers en pratique avancée : un cadre enfin fixé mais en partie contesté

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Infirmiers en pratique avancée : un cadre enfin fixé mais en partie contesté
Infirmiers en pratique avancée : un cadre enfin fixé mais en partie contesté

L’arrêté du 25 avril 2025 marque une avancée significative pour les infirmiers en pratique avancée (IPA) en précisant la liste des produits de santé et prestations qu’ils sont autorisés à primo-prescrire. Mais ce texte très attendu par la profession ne fait pas l’unanimité et révèle les tensions entre sécurité juridique, organisation des soins et respect des rôles entre professionnels de santé.

Grâce aux retours d’expérience de deux praticiennes exerçant en Corse, OnLib’Infos dresse un état des lieux en 10 questions d’une profession à part entière, en quête de reconnaissance et d’un cadre structuré et cohérent.

Avec les témoignages de :

  • Clarisse Goux, infirmière en pratique avancée, mention pathologies chroniques stabilisées, prévention et polypathologies courantes en soins primaires, Maison de Santé de L'Ile Rousse ;
  • Élodie Falcone, infirmière libérale, DE IPA mention pathologies chroniques stabilisées et polypathologies, Bonifacio.

Être IPA consiste en quoi ?

Créé par la loi de modernisation de notre système de santé de 2016 et officialisé par un décret paru le 18 juillet 2018, le statut d'infirmier en pratique avancée (IPA) permet à des infirmiers d’exercer des missions plus étendues et d’acquérir des compétences supplémentaires.

Selon les termes affichés sur le site du ministère de la Santé « la pratique avancée vise un double objectif : améliorer l’accès aux soins ainsi que la qualité des parcours des patients en réduisant la charge de travail des médecins sur des pathologies ciblées ». Selon les termes du Conseil national de l’Ordre des Infirmiers, « l’infirmier exerçant en pratique avancée est un infirmier diplômé qui a acquis des connaissances théoriques, le savoir-faire aux prises de décisions complexes, de même que les compétences cliniques indispensables à la pratique avancée de sa profession. » Pour la Cour des comptes, dans un rapport publié en juillet 2023, « l’enjeu pour les infirmiers est de s’appuyer sur leur pratique avancée pour jouer un rôle pivot dans la prise en charge du patient, dans une logique de parcours, que ce soit en établissement de santé ou entre les soins de ville et hospitaliers ».

Mais le rôle de l'IPA ne se limite pas aux actes de soins. « Il y aussi les temps de recherche, de formation, d'accompagnement des confrères et le leadership infirmier, nous sommes aussi formés pour cela » souligne Clarisse Goux, qui a personnellement développé des activités d'enseignement à l'université et à l'institut de formation en soins infirmiers (IFSI), ainsi que des actions de démarche qualité au sein de sa maison de santé. De même pour Élodie Falcone, qui s'implique « dans des projets de la CPTS, notamment dans la coordination de programmes d’éducation thérapeutique ».

Comment devient-on IPA ?

L’infirmier en pratique avancée doit justifier d’une expérience de 3 ans en tant qu’infirmier et suivre une formation de deux ans, avec un master 1 en tronc commun et un master 2 en fonction de la spécialité choisie. « Devenir IPA est un long process », explique Élodie Falcone et « la formation infirmière socle est essentielle, notamment pour la reformulation des questions favorisant l'observance thérapeutique ». Clarisse Goux attire quant à elle l’attention sur l’aspect financement : « pour nous qui sommes en Corse, il faut prévoir un budget pour les études et surtout anticiper une possible perte de revenus pendant la formation. Il est essentiel de réfléchir à son projet professionnel et à son lieu d'exercice dès le début de la formation ». Lors de sa formation de niveau master, l’infirmier en pratique avancée choisit un domaine d’intervention parmi les cinq mentions définies par la réglementation*. Chaque domaine donne lieu à des compétences cliniques spécifiques, notamment en matière de prescription, d’actes techniques et de suivi. L’IPA intervient donc dans son champ de compétence, en lien avec les pathologies ou situations pour lesquelles il a été formé.

*Les 5 mentions telles que définies dans l’article R4301-2 du Code de la santé publique sont les suivantes : 

  • 1° Pathologies chroniques stabilisées ; prévention et polypathologies courantes en soins primaires ;
  • 2° Oncologie et hémato-oncologie ;

  • 3° Maladie rénale chronique, dialyse, transplantation rénale ;

  • 4° Psychiatrie et santé mentale ;

  • 5° Urgences

Que change la publication de l’arrêté du 25 avril 2025 ?

Depuis le décret n° 2025‑55 du 20 janvier 2025 et son arrêté d'application du 25 avril 2025, les compétences des IPA ont été significativement élargies, notamment en matière de primo-prescription et d’accès direct aux patients. L’Ordre des pharmaciens a salué cette évolution et souligné que ces compétences « ne remettent pas en cause le rôle du médecin, mais permettent une prise en charge plus rapide et continue de pathologies identifiées, dans le respect de la sécurité des patients » (communiqué de presse, 6 juin 2025).

Désormais, l’IPA peut :

  • quelle que soit sa mention, prescrire des produits ou prestations soumis à prescription médicale obligatoire, ainsi que certains antibiotiques.
  • sous condition de formation définie par décret, prescrire des produits ou prestations soumis à prescription médicale obligatoire ainsi que certains antibiotiques selon une liste précise de pathologie aigue. Ces prescriptions doivent faire l’objet d’une concertation médicale pour être renouvelées par l’IPA.

Les textes définissent précisément la liste des produits de santé, actes et prestations que les IPA sont autorisé(e)s à prescrire sans passage préalable chez un médecin.

La formation continue et la mise à jour des connaissances se révèlent essentielle. « Étant donné que je peux introduire de nouvelles molécules, je me dois d’être bien à jour de ces connaissances » souligne Clarisse Goux, qui suit actuellement une formation universitaire sur l’hypertension.

Quels sont les freins au déploiement de la profession d’IPA ?

Avant la loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016, aucune évolution ne se présentait aux infirmiers exerçant en libéral. En proposant la création d’un nouveau statut, le ministère de la Santé souhaitait notamment répondre à l’objectif de « diversifier l’exercice des professionnels paramédicaux et développer les perspectives de carrière ».

Qu’en est-il depuis, dans les faits ?

Dans son rapport publié en 2023 (précité), la Cour des comptes relevait des « obstacles puissants » au déploiement de la pratique avancée. Parmi les plus importants, les conditions de formation onéreuses, mais surtout « les réticences des médecins (...) à orienter vers les IPA des patients dont la situation relève des compétences de ces professionnels paramédicaux, par méconnaissance ou par crainte de concurrence (...) ». Élodie Falcone était dans la première promotion d’IPA diplômé(e)s en 2019 et a personnellement fait le constat d’un environnement professionnel peu réceptif : « En raison de la complexité de l'installation à l'époque, je n’ai jamais exercé en tant qu'IPA. Le manque de médecins acceptant de travailler avec une IPA et les réticences de certains collègues infirmiers ont été des freins importants. J’utilise mes compétences d'IPA en tant qu'infirmière à domicile et je suis une personne ressource sur certains sujets au sein de l’équipe ».

Même constat pour Clarisse Goux, pour qui, au tout départ, les barrières ont été notamment administratives (retard dans l'obtention des lettres clés, adaptation des logiciels informatiques, reconnaissance par les laboratoires, accès aux ordonnances sécurisées). Par la suite, dans l’exercice de ses fonctions, elle a été plusieurs fois confrontée à une méconnaissance d’autres professionnels de santé : « Il m’est arrivé que des pharmaciens refusent une ordonnance, simplement parce qu’ils ignoraient que j’étais habilitée à prescrire ces produits. Même chose pour des examens que des radiologues ou spécialistes demandaient de faire re-prescrire par un médecin. »

Où choisir de travailler quand on est diplômé(e) IPA ?

En libéral ou salarié, au sein d’une structure organisée... À l’hôpital, en maison professionnelle de santé ou en clinique... Le choix d’une structure peut être motivé par des considérations financières, mais aussi par le souhait de s’appuyer sur une organisation structurée, qui offre un véritable confort de pratique et une reconnaissance plus naturelle du rôle étendu de l’infirmier. Certains choisissent un mode mixte, comme Clarisse Goux qui exerce à l’Île-Rousse, au sein d’une maison de santé, dix   jours par mois : « l’exercice en équipe favorise les échanges informels et facilite la coordination entre les différents professionnels dans la prise en charge du patient ». Elle insiste également sur les bénéfices quotidiens du travail collectif : « le dossier médical partagé, les réunions de concertation pluriprofessionnelles, les protocoles communs... tout cela rend la prise en charge beaucoup plus fluide, et permet, par exemple d’éviter des examens redondants. »

De son côté, Élodie Falcone, diplômée depuis longtemps mais qui n’a jamais exercé, espère pouvoir prochainement s’intégrer dans les projets portés par sa CPTS, en lien avec les besoins identifiés sur son territoire, « notamment dans la prise en charge des personnes âgées et la prévention, domaines dans lesquels je suis déjà identifiée comme ressource, ce serait donc une continuité logique. »

Enfin, sur un plan très pratique, l’exercice au sein d’une structure facilite aussi l’accès direct à l’IPA : « Nous avons un logiciel de prise de rendez-vous commun avec des médecins spécialistes, où les patients peuvent choisir de consulter l'IPA pour certains motifs si le médecin n'est pas disponible », explique Clarisse Goux. L’orientation par les médecins eux-mêmes et le bouche à oreille font le reste.

Quel impact les IPA ont-ils/elles sur le parcours de soins des patients ?

L’IPA intervient dans un cadre médical défini, en complémentarité avec les médecins, pour améliorer l'accès, la qualité et la continuité des soins. L’Ordre national des infirmiers estime que l’arrêté du 25 avril 2025 « constitue une avancée majeure et attendue pour l’accès aux soins, en particulier dans les territoires en tension médicale ».
En effet note Clarisse Goux, « l’intégration d'une IPA dans une maison de santé permet de libérer du temps médical et d'améliorer l'accès aux médecins traitants, car ces derniers acceptent plus facilement de nouveaux patients si l'IPA intervient dans leur suivi. La disponibilité des IPA permet d’aborder les facteurs de risque de manière plus globale et peut raccrocher des patients éloignés du suivi médical régulier. » Constat partagé par Élodie Falcone pour qui « la présence d’une IPA apporte une réponse concrète aux besoins de suivi des patients. Le temps d’écoute favorise l’expression de certaines préoccupations par les patients, et permet d’aborder des problématiques qui ne sont pas toujours soulevées en consultation médicale. »

Pourquoi le Conseil national de l’Ordre des médecins dépose-t-il un recours contre l’arrêté du 25 avril 2025 ?

Début juin, le Conseil national de l’Ordre des médecins a déposé un recours devant le Conseil d’État à l’encontre de l’arrêté du 25 avril 2025. Selon son président le Dr François Arnault, « ce texte contredit la loi Rist en autorisant les infirmières en pratique avancée à prendre en charge les diabètes et prescrire l'ensemble de la thérapeutique sans diagnostic médical ».

Affirmation contestée par l’Ordre national des infirmiers pour qui au contraire l'arrêté sur la primo-prescription « s’inscrit dans la droite ligne des objectifs portés par la loi Rist qui n’exige pas un diagnostic médical préalable à la prise en charge par l’IPA ». Affaire à suivre...

Pour en savoir plus : infirmiers.com

Que pensent les pharmaciens de l’arrêté du 25 avril 2025 ?

Du coté des pharmaciens, l’Ordre national relève que « la rédaction des textes d’application génère des difficultés de mise en œuvre pratique » (pas de mention du domaine d’intervention de l’IPA sur l’ordonnance, de l’existence d’un diagnostic médical préalable, d’une concertation médicale ou d’une ordonnance médicale initiale…) et souhaite que des précisions soient « apportées par le ministère de la Santé afin de sécuriser l'acte de dispensation » du pharmacien.

Pour en savoir plus : ordre.pharmacien.fr

Quid de la rémunération des IPA ?

Le sujet de la rémunération constitue aujourd’hui l’un des principaux points de tension pour les infirmiers en pratique avancée, en particulier pour ceux exerçant en libéral. Contrairement aux infirmiers libéraux, les IPA ne sont pas rémunérés à l’acte, mais au forfait, dans la limite de quatre actes par an : un forfait d’initiation lors de la première prise en charge, puis trois forfaits de suivi trimestriels. Malgré l’élargissement de leurs compétences et de leur responsabilité, les IPA subissent, en pratique, une perte de revenu.

L’UNIPA (Union Nationale des Infirmier.es en Pratique Avancée) revendique la tenue de négociations conventionnelles propres aux IPA avec comme objectif de garantir le remboursement de l’accès direct aux IPA, non encore pris en charge par l’Assurance maladie et de revaloriser les forfaits des IPA. Pour Clarisse Goux, « la renégociation de la convention est primordiale pour faire évoluer les tarifs et permettre aux IPA libérales de vivre correctement de leur activité. J’exerce toujours dix jours par mois en libéral dans l'attente d'une évolution de la convention qui me permettrait de se consacrer pleinement à mon rôle d'IPA ».

Par ailleurs, les IPA subissent aussi un regard critique de certains médecins sur la rémunération plus élevées des IPA. C’est ce qu’a déjà vécu Élodie Falcone qui rappelle que « les consultations IPA ne sont pas identiques à celles des médecins, ni en durée, ni en objectifs. Ce sont des entretiens plus approfondis, souvent centrés sur les actions d’éducation, le repérage précoce et la coordination. Il n’y a pas de concurrence avec les médecins, mais une complémentarité qui devrait être mieux valorisée ».
Pour l’heure, les négociations, qui s’annoncent complexes, se tiendront dans le cadre des négociations conventionnelles pour l’avenant 11 à la convention nationale des infirmières libérales.

En conclusion ?

Une enquête nationale réalisée par l’UNIPA en mars 2025 conclut à « l’insatisfaction générale des IPA », tant sur leur rémunération que sur la reconnaissance de leurs compétences, tous modes d’exercices confondus... Bien que mûrissant depuis 2019, le statut d'IPA, semble avoir besoin d’encore un peu de temps pour être pleinement intégré. « On sent bien que le cadre évolue, mais l’environnement met du temps à suivre. Les textes avancent plus vite que les mentalités et il a encore un vrai manque de reconnaissance, lié en grande partie à une méconnaissance de notre rôle » selon Élodie Falcone. « Beaucoup de professionnels ne savent pas précisément ce que nous sommes habilités à faire, et cela crée de la confusion, voire de la défiance. »

Certes, le parcours n’est pas toujours simple sur le terrain et la baisse de revenus constatée peut être décourageante. Mais pour Clarisse Goux, cette évolution du métier, avec des compétences élargies et une responsabilité accrue, représente avant tout « une formidable opportunité d’épanouissement professionnel, qui peut redonner de l'attrait à la profession d’infirmière.  Je mesure tous les jours la chance que j’ai de travailler au sein d’une organisation où les médecins jouent le jeu, et d’avoir pu bénéficier d’une reconnaissance progressive au sein de cet écosystème. J’encourage les plus jeunes à bien réfléchir dès le départ à leur choix d’implantation. »

Le 5 mai dernier, quelques semaines après son adoption par l’Assemblée nationale, le Sénat a voté à l’unanimité en première lecture la proposition de loi relative à la profession d’infirmière. Un article 2 y est spécifiquement consacré à la pratique avancée.
Les limites actuelles du dispositif ont été clairement identifiées par les rapporteurs du Sénat qui relèvent que « le coût de la formation et l’absence de modèle économique viable ont entamé l’attractivité du métier d’IPA et induit un déploiement en dessous des attentes ».

L’adoption définitive de la loi conditionnera l’ouverture de futures négociations conventionnelles, attendues avec espoir par la profession. Une étape nécessaire vers la revalorisation concrète des infirmiers en pratique avancée et, plus largement, vers la reconnaissance de leur rôle essentiel dans le parcours de soins.

LES IPA en droit

Textes fondateurs

Accès direct & prescription

  • La loi n° 2023 379 du 19 mai 2023 (loi "Rist") - autorise l’accès direct aux IPA (dans le cadre d’un exercice coordonné avec les médecins) et la prescription initiale de produits de santé
  • Le décret n° 2025 55 du 20 janvier 2025, publié en application de la loi Rist - formalise l’accès direct et la primo prescription dans le Code de la santé publique

Arrêtés d’application

 

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