Cabinets d'expertise comptable & fonds d’investissements : l’union qui change la donne
Le secteur de l'expertise comptable française connaît une transformation majeure. Alors que les rapprochements entre confrères constituaient jusqu'à récemment la voie privilégiée pour consolider les activités, une nouvelle donne émerge avec l'arrivée des fonds de capital-investissement sur ce marché.
OnLib’Infos s’est tourné vers Laurent Charrier, directeur général de Viou & Gouron et Kevin Blakimé, directeur de Cervinvest Capital, pour décrypter les ressorts et les perspectives de cette évolution.
Un secteur attractif pour les investisseurs financiers
Cette évolution répond à des enjeux cruciaux pour la profession. Les cabinets font face simultanément à une clientèle aux attentes renouvelées, à l'impératif de modernisation technologique, aux défis de la facturation électronique et aux difficultés de recrutement. L'automatisation des tâches de production devient essentielle pour libérer du temps sur les missions à forte valeur ajoutée.
Les fonds de private equity représentent une alternative innovante aux traditionnels rachats entre professionnels. Ces véhicules financiers, qui investissent dans des sociétés non cotées avec une perspective de valorisation à moyen terme, trouvent dans l'expertise comptable un terrain particulièrement propice. En France, plus de 300 fonds agréés par l'AMF opèrent sur différents segments. Parmi eux, des acteurs comme Cervinvest Capital se spécialisent dans l'accompagnement de PME vers le statut d'ETI grâce à une stratégie de "buy & build".
Les atouts structurels du métier d'expert-comptable
Plusieurs caractéristiques rendent les cabinets particulièrement séduisants pour ces investisseurs.
La stabilité financière
Elle constitue un premier avantage décisif. Les revenus des cabinets d’expertise comptable sont récurrents, prévisibles et peu volatils - qualités rares dans l'économie moderne. Cette régularité découle de la nature même des prestations comptables, majoritairement obligatoires et renouvelées annuellement.
Établissement des comptes, déclarations fiscales, audit, etc. Les obligations légales entrainent un socle de chiffre d’affaires prévisible, auquel s’ajoute généralement un portefeuille de missions récurrentes en conseil (social, fiscalité, gestion), renforçant la fidélité de la clientèle.
La qualité managériale
Elle représente un second atout. Les dirigeants de cabinets sont des professionnels expérimentés, rompus à la gestion d'entreprise et évoluant dans un cadre réglementaire strict qui favorise la rentabilité et la bonne gouvernance. De quoi rassurer les investisseurs sur la gestion des risques opérationnels et l’intégration des bonnes pratiques.
À ces facteurs structurels s'ajoutent des opportunités conjoncturelles attractives : un marché en expansion continue, encore très atomisé, confronté à des mutations technologiques profondes (intelligence artificielle, blockchain, automatisation) qui ouvrent de nouveaux leviers de productivité.
Une solution face au défi générationnel
Laurent Charrier, dirigeant de Viou & Gouron, cabinet spécialisé dans les transactions entre professionnels du chiffre, identifie un enjeu démographique crucial : « La pyramide des âges impose une accélération des transmissions dans la décennie à venir. Simultanément, les jeunes associés potentiels contestent les modèles de valorisation traditionnels qu'ils jugent dépassés. »
Cette inadéquation entre les attentes des cédants et des repreneurs internes crée un gap que le capital-investissement peut combler. Il offre aux associés seniors une solution de sortie valorisante tout en facilitant l'évolution du cabinet pour les équipes restantes.
Un accompagnement global au-delà du financement
L'intervention d'un fonds dépasse la simple injection de capital. Ces partenaires financiers apportent conseil stratégique, réseau professionnel et support opérationnel pour structurer la croissance. Leur objectif : construire un ensemble plus important et plus rentable en vue d'une cession ultérieure avec plus-value. Kevin Blakimé de Cervinvest Capital précise : « Nous agissons comme un sparring-partner actif, libérant les dirigeants des contraintes administratives pour qu'ils se concentrent sur leur cœur de métier et l'accélération du développement. »
Les modalités pratiques d'une cession
Le seuil d'entrée
Les fonds ciblent généralement des cabinets d'une taille minimum. Chez Cervinvest, les tickets oscillent entre 7 et 20 millions d'euros sur la période de détention, bien qu'aux États-Unis certains acteurs s'intéressent à des structures plus modestes.
Les méthodes de valorisation
contrairement aux approches traditionnelles, les fonds utilisent systématiquement des multiples d'EBITDA (généralement entre 5 et 7 fois). Le règlement s'effectue en majorité cash (60 à 80 %) complété par un mécanisme d'intéressement aux performances futures.
La répartition du pouvoir
La réglementation impose que les experts-comptables conservent au minimum les deux tiers des droits de vote, garantissant leur contrôle sur les orientations professionnelles.
La flexibilité des montages
ces opérations permettent aux associés de monétiser tout ou partie de leur participation tout en conservant un rôle opérationnel. Cette formule séduit particulièrement les professionnels de 45-50 ans souhaitant diversifier leur patrimoine sans quitter immédiatement leur cabinet.
L'importance de l'accompagnement spécialisé
La complexité de ces montages nécessite un accompagnement expert. Les enjeux de valorisation, de répartition des rôles futurs et de négociation avec des professionnels aguerris du rachat d'entreprises requièrent une connaissance fine du secteur comptable et de ses spécificités réglementaires.
Cette évolution marque une étape charnière pour la profession comptable française, ouvrant de nouveaux horizons de développement tout en préservant son identité professionnelle. Le mouvement de consolidation s'accélère, porté par ces nouveaux acteurs financiers qui apportent moyens et expertise pour accompagner les mutations du secteur.
