Avis d'experts
des professions libérales

Réduction de capital financée par endettement dans vos SEL : Attention à la déductibilité des intérêts

Dans les professions libérales qui s’organisent de plus en plus en SEL, composition et recomposition du capital vont bon train. A défaut d’acquéreur de parts d’un retrayant, une des techniques courantes est le rachat par la SEL des titres détenus par cet associé qui sont ensuite annulés. La société rembourse la valeur des parts, soit en utilisant sa trésorerie, soit en se refinançant par emprunt. C’est dans cette seconde hypothèse que l’affaire peut se compliquer fiscalement.

Une opération classique

Sous réserve de contraintes d’exercice professionnel – nombre de titulaires et lieux d’exercice en particulier - la réduction du nombre d’associés est un procédé bien tentant puisqu’avec les taux actuels d’emprunt entre 1 et 2%, l’économie du revenu préalablement distribué compense plus que largement le remboursement d’un emprunt. On peut aussi substituer au partant « un pseudo associé TNS » porteur d’une participation symbolique ou un salarié, bien moins onéreux. Les financiers appellent effet de levier le gain de l’opération financière.

On observe aussi des contentieux d’associés ou situations particulières où la technique de réduction du capital est salvatrice, car le prix de sortie de l’associé est le résultat de diverses négociations et aucun autre associé ne veut – ou ne peut - acquérir les parts en cause.

L’interprétation également très stricte – trop ? – dans les professions de santé et notamment chez les biologistes - par l’Agence Régionale de Santé (ARS), des textes interdisant le rachat de 50% et plus d’une SEL par une autre SEL, puisque les professionnels doivent à tout moment demeurer majoritaires[1] en droits de vote et capital, ne permet pas non plus la transmission universelle de patrimoine (opération appelée TUP en abrégé). Cette technique courante des affaires suppose préalablement la possession de 100% du capital d’une société par une autre, la société  actionnaire unique pouvant alors confondre le patrimoine de la filiale avec le sien, c’est une solution rapide de  fusion. Cette ingénierie  aide beaucoup dans les cessions d’entreprises, lorsque tous les associés sont vendeurs à une autre société. L’interdiction administrative de l’ARS oblige donc à diverses contorsions juridiques qui n’apportent rien que la complication des actes, et contraint souvent à des fusions suivies de réductions de capital pour payer des sortants.

Nombreuses sont donc les SEL à pratiquer ainsi notamment depuis 2015 puisque la fiscalité permet de bénéficier dans ces opérations de réduction de capital pour les personnes physiques du régime des plus-values sur cessions de titres et des abattements pour détention qui peuvent monter jusqu’à 85%. Cette opération est relutive, chaque associé restant investi au capital augmente en proportion sa part en % en capital et donc sa part sur les futurs résultats et sur le patrimoine de la SEL.

Nous ne commenterons pas ici les règles juridiques autorisant ces opérations qui doivent respecter le principe d’égalité entre les actionnaires mais peuvent s’adresser en pratique à un associé désigné ou au contraire à tous les associés, pour un montant proposé, ni les conditions de vote parfois très restrictives en assemblée générale, ni l’obligation de l’intervention du commissaire aux comptes, ni les possibilités d’opposition des tiers qui voient le patrimoine intrinsèque de la société se réduire. Il conviendra aussi de vérifier la faisabilité comptable de l’opération avec les réserves accumulées.

Les limites de la fiscalité

Par un arrêt rendu le 15 février dernier[2], le Conseil d’Etat a rappelé qu’en cas de rachat par une société de ses propres titres, la déductibilité des charges financières au plan du résultat fiscal annuel supposait qu’il soit démontré que l’opération était réalisée dans son propre intérêt et non dans celui de ses associés, la personne morale et les personnes des associés étant naturellement distinctes. Le raisonnement est classique, les dépenses ne sont acceptées en déduction que si elles rejoignent l’intérêt de l’exploitation, à défaut on se situe dans l’acte anormal de gestion.

Le cas était le suivant : trois associés de la SNC Pharmacie X, qui détenaient chacun 3 502 parts de cette société, ont décidé le rachat, par celle-ci, de tout ou partie de leurs parts et la réduction du capital par annulation des parts ainsi rachetées ; L'un des associés a cédé la totalité de ses 3 502 parts, tandis que les deux autres cédaient chacun, 3 260 parts ; dans le même temps la société a par ailleurs opté pour l'impôt sur les sociétés.

Comme on le voit l’opération était significative en incidence sur le capital ce qui n’a pas manqué d’attirer l’attention de l’Administration fiscale qui,  à l'occasion d'une vérification de la comptabilité de la société,  a remis en cause la déduction du bénéfice imposable des intérêts des emprunts contractés par la société pour financer le rachat de ses titres, au motif qu'en procédant au remboursement des parts sociales de ses associés, la société n'avait pas agi dans l'intérêt de l'exploitation mais dans celui de ses associés. Tribunal administratif et Cour Administrative d’Appel ont rejeté les recours du contribuable.  Mais le Conseil d’Etat s’est prononcé ainsi : en jugeant que l'administration fiscale était fondée à réintégrer au bénéfice imposable de la SNC X, les intérêts des emprunts que la société avait contractés aux fins de procéder au rachat de ses titres au seul motif que cette opération de rachat suivie d'une réduction de son capital social constituait un prélèvement au profit des associés, sans rechercher si l'opération de rachat de titres en cause avait été réalisée dans l'intérêt de la société, la cour a commis une erreur de droit ; que la société requérante est, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de son pourvoi, fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Ce qui pose donc question au plan fiscal est la déductibilité ou non des charges financières de l’emprunt de rachat. Un financement par la trésorerie de la société élimine naturellement le sujet, tout au moins au plan fiscal.

Cette jurisprudence incite donc à la prudence, les associés doivent se ménager la preuve d’un intérêt social qui peut se justifier par la restructuration plus large du groupe permettant une amélioration du résultat notamment. Très heureusement les taux d’intérêts sont aujourd’hui faibles et donc l’incidence n’est pas trop sensible. Mais dans cet arrêt qui rejoint une autre affaire dite Yoplait (rachat d’actions financé par emprunt), on perçoit bien  que le juge de paix pour apprécier cette opération sur un plan fiscal sera la défense du résultat social et non l’intérêt d’un associé qui se retire pour convenance personnelle.

Bien naturellement une réduction de capital, qui ne modifierait pas la répartition du capital entre associés mais conduirait en pratique à une distribution de résultats accumulés en substitution d’une politique de versement de dividendes, ne serait pas sans poser interrogation fiscale eu égard au traitement différencié entre abattement sur plus-values et abattement sur dividendes. Les actionnaires devraient alors être en mesure de justifier cette optimisation trop heureuse.

Enfin les associés qui pratiquent réduction de capital et emprunt ne doivent pas perdre de vue que la société s’appauvrit au moins initialement et que cette situation jouant sur la valeur de la société peut gêner dans des opérations de rapprochement avec d’autres structures. Il en serait autrement si les actions d’un sortant étaient reprises par les associés personnellement ou holding et SPFPL puisque l’endettement ne serait plus au niveau de la SEL en cause.

La réduction de capital est donc bien une technique d’ingénierie financière utile mais il faut en user sans abuser.

[1] Sous réserve de l’application de l’ancien article 5-1 de la loi du 31 12 1990 instituant les Sociétés d’Exercice Libéral

[2] CE 15/02/2016 n°376739 SNC Pharmacie Saint-Gaudinoise

Le point de vue d’Interfimo

Le prêteur est attiré par le financement du rachat par une SEL de ses propres titres, plutôt que par un professionnel libéral (directement ou via une SPFPL) :

  • prêter à la société, propriétaire du fonds de commerce ou du fonds libéral, est plus sécurisant en termes de garantie ;
  • la capacité d’endettement est améliorée car ce sont directement les bénéfices de la SEL qui sont consacrés aux remboursements (ni prélèvements sociaux, ni coûts au niveau de la SPFPL).

Mais l’exercice trouve sa limite dans le niveau des fonds propres de la SEL après la réduction de son capital : si ceux-ci devaient devenir négatifs, le risque de mise en cause du banquier pour crédit ruineux deviendrait rédhibitoire.


Philippe TABOULET
Philippe TABOULET
Expert-comptable et Commissaire aux Comptes
Samothrace



onlib
Inscrivez-vous à notre newsletter
dédiée à toutes les professions libérales
Je m'abonne